Jean-Paul SARTRE: L'existentialisme athée
Extrait du document
«
L'existentialisme athée, que je représente, est plus cohérent.
Il déclare que si Dieu n'existe
pas, il y a au moins un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant de
pouvoir être défini par aucun concept et que cet être, c'est l'homme ou, comme dit Heidegger,
la réalité-humaine.
Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie
que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après.
L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord
rien.
Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait.
Ainsi, il n'y a pas de nature humaine,
puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir.
L'homme est non seulement tel qu'il se conçoit,
mais tel qu'il se veut, et comme il se conçoit après l'existence, comme il se veut après cet
élan vers l'existence, l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait.
Tel est le premier
principe de l'existentialisme.
C'est aussi ce qu'on appelle la subjectivité, et que l'on nous
reproche sous ce nom même.
Mais que voulons-nous dire par là, sinon que l'homme a une plus
grande dignité que la pierre ou que la table ? Car nous voulons dire que l'homme existe
d'abord, c'est-à-dire que l'homme est d'abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est
conscient de se projeter dans l'avenir.
L'homme est d'abord un projet qui se vit
subjectivement, au lieu d'être une mousse, une pourriture ou un chou-fleur ; rien n'existe
préalablement à ce projet ; rien n'est au ciel intelligible, et l'homme sera d'abord ce qu'il aura projeté d'être.
Dans ce texte, Sartre souligne à quel point l'existentialisme athée l'emporte en cohérence sur la tendance chrétienne de ce qu'il faut
bien appeler une « doctrine » (p.
26).
Car si les deux courants partent du même postulat, selon lequel « l'existence précède l'essence
», seul l'existentialisme athée qui affirme que « Dieu n'existe pas » est à même de trouver un être pour lequel l'existence précédera
effectivement l'essence, c'est-à-dire l'homme.
L'essence, rappelons-le, est l'ensemble des « qualités qui permettent de [...] produire et
de définir [un être] » (p.
27) : il suffit en effet de connaître les qualités qui caractérisent un être pour le fabriquer ou pour le faire
passer à l'existence.
Dans ce cas, on possède une représentation technique du monde, où l'Idée précède la réalisation, c'est-à-dire
l'incarnation singulière de l'Idée : l'essence précède alors l'existence.
Or, c'est bien ce qu'implique l'idée même de création divine, que
maintiennent les existentialistes chrétiens : Dieu possède dans son intellect le concept d'homme ; puis sa volonté le promeut à
l'existence, en choisissant le réel parmi les possibles (cf.
Leibniz).
A l'inverse, pour l'existentialisme athée, l'homme ou la « réalité-humaine » (traduction française du terme Dasein chez Heidegger),
existe d'abord, c'est-à-dire qu'il « est là », qu'il surgit de manière purement contingente dans le monde, et il est défini ensuite
seulement par un concept.
Bref, on ne le déduit pas d'une Idée préexistante, mais il n'est d'abord « rien » et c'est uniquement par ce
qu'il fait, par son action, qu'il se définit : la notion de « nature humaine », de concept universel (exemple : l'homme comme animal
raisonnable) que l'on retrouverait chez tous les hommes particuliers, est ainsi ruinée par l'existentialisme athée, car il n'existe pour lui
aucun Dieu qui pourrait former l'idée d'homme pour en tirer par une opération logique ou technique l'existence concrète d'un individu.
Si l'homme n'est pas créé, c'est lui qui se crée par son activité subjective.
C'est là ce que l'on pourrait appeler le « subjectivisme » de
l'existentialisme, celui même que les critiques marxistes reprochent à Sartre.
Pourtant, celui-ci n'est qu'une conséquence du fait que
chez l'homme, l'existence précède l'essence : en effet, si l'homme existe d'abord pour se définir ensuite, cela signifie qu'il vit sa
situation et ses projets au lieu de les subir, comme la mousse ou le chou-fleur, qui se développent conformément à des lois qu'ils n'ont
pas choisies (les lois de la nature) ; il est conscient de ce qu'il fait, par opposition à ce qui est en soi.
L'existence est donc subjective,
elle est celle d'un sujet.
SARTRE (Jean-Paul).
Né et mort à Paris, en 1905 et 1980.
Il fait ses études au lycée Henry IV.
Elève de l'Ecole Normale supérieure de 1924 à 1928, il fut reçu premier à l'agrégation de
philosophie, en 1929.
De 1931 à 1944, il fut professeur de lycée.
Il demanda et obtint un congé en 1945.
- La pensée de Sartre est
influencée par Hegel, Husserl et Heidegger.
Ses premières recherches philosophiques ont porté sur l'imaginaire et l'imagination, qui
consiste à se rendre présent un objet tenu pour absent.
« L'acte d'imagination est un acte magique : c'est une incantation destinée à
faire apparaître la chose qu'on désire.» — La liberté se traduit par le retrait, c'est-à-dire la capacité de voir, dans ce qui est, ce qui
n'est pas.
La conscience, qui est liberté et intentionnalité, est néantisation.
« La néantisation est l'acte par lequel la conscience se libère
de l'en-soi en le pensant...
Le pour-soi surgit comme néantisation de l'en-soi.
» Sartre définit ainsi l'en- soi : « Il faut opposer cette
formule : l'être en soi est ce qu'il est, à celle qui désigne l'être de la conscience (le pour-soi) : celle-ci en effet a à être ce qu'elle est...
L'être en-soi n'a pas de dedans qui s'opposerait à un dehors...
L'en-soi n'a pas de secret : il est massif.» L'en-soi désigne souvent, pour
Sartre, la réalité matérielle.
Sa définition du pour-soi : « Le pour-soi, c'est l'en-soi se perdant comme en-soi, pour se fonder comme
conscience.
» — Le pour-soi est une manière pour l'en-soi d'être sur le mode du non-être.
L'existence de la conscience porte
témoignage de l'existence des choses.
La conscience est fascinée par ce qu'elle connaît :« son être est de n'être pas ce à quoi elle est
présente.
» — « Le pour-soi est pour autrui.
» Sartre analyse l'autre et en rend compte par le trouble et la résistance qu'il provoque en
nous.
Il définit : « Autrui, c'est l'autre, c'est-à-dire le moi qui n'est pas moi.
» La découverte de l'autre est un conflit, où les deux
parties se posent toujours, l'une comme sujet, l'autre comme objet.
Il n'y a jamais deux sujets face à face.
« L'enfer, c'est les autres.
» — Son analyse du projet conduit Sartre à poser comme termes synonymes : être et faire.
Pour lui, l'existence précède l'essence.
—
Telle est, succinctement et terminologiquement exposée, une doctrine qui est encore en plein accomplissement..
»
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