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Jean-Paul SARTRE et la honte devant autrui

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J'ai honte de ce que je suis. La honte réalise donc une relation intime de moi avec moi : j’ai découvert par la honte un aspect de mon être. Et pourtant, bien que certaines formes complexes et dérivées de la honte puissent apparaître sur le plan réflexif, la honte n’est pas originellement un phénomène de réflexion. En effet, quels que soient les résultats que l’on puisse obtenir dans la solitude par la pratique religieuse de la honte, la honte dans sa structure première est honte devant quelqu’un. Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à moi, je ne le juge ni ne le blâme, je le vis simplement, je le réalise sur le mode du pour-soi. Mais voici tout à coup que je lève la tête : quelqu’un était là et m’a vu. Je réalise tout à coup la vulgarité de mon geste et j’ai honte. Il est certain que ma honte n’est pas réflexive, car la présence d’autrui à ma conscience, fût-ce à la manière d’un catalyseur, est incompatible avec l’attitude réflexive : dans le champ de ma réflexion, je ne puis jamais rencontrer que la conscience qui est mienne. Or autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même : j’ai honte de moi tel que j’apparais à autrui. Et, par l’apparition même d’autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme sur un objet, car c’est comme objet que j’apparais à autrui. Mais pourtant cet objet apparu à autrui, ce n’est pas une vaine image dans l’esprit d’un autre. Cette image en effet serait entièrement imputable à autrui et ne saurait me « toucher ». Je pourrais ressentir de l’agacement, de la colère en face d’elle, comme devant un mauvais portrait de moi, qui me prête une laideur ou une bassesse d’expression que je n’ai pas ; mais je ne saurais être atteint jusqu’aux moelles : la honte est, par nature, reconnaissance. Je reconnais que je suis comme autrui me voit. Jean-Paul SARTRE

« VOCABULAIRE SARTRIEN: Cogito, conscience : pour Sartre, aucune philosophie ne peut éviter de partir du cogito (« Je pense, donc je suis », Descartes, Méditations métaphysiques, II).

Mais Sartre sous-tend le cogito réflexif cartésien (la conscience de soi réfléchie) par un cogito pré-réflexif : une conscience non thétique (irréfléchie) de soi engagée dans toute conscience d'un donné.

En outre, le cogito cartésien est modifié par Sartre dans le sens de l'intentionnalité : il n'est absolument pas substantiel et implique d’emblée la co-présence d’autrui. En-soi : manière d'être de l'ensemble des choses, des êtres distincts de la conscience. Phénoménologie: Méthode fondée par Husserl consistant à décrire la réalité pour en saisir les essences. J'ai honte de ce que je suis.

La honte réalise donc une relation intime de moi avec moi : j’ai découvert par la honte un aspect de mon être.

Et pourtant, bien que certaines formes complexes et dérivées de la honte puissent apparaître sur le plan réflexif, la honte n’est pas originellement un phénomène de réflexion.

En effet, quels que soient les résultats que l’on puisse obtenir dans la solitude par la pratique religieuse de la honte, la honte dans sa structure première est honte devant quelqu’un.

Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à moi, je ne le juge ni ne le blâme, je le vis simplement, je le réalise sur le mode du pour-soi.

Mais voici tout à coup que je lève la tête : quelqu’un était là et m’a vu. Je réalise tout à coup la vulgarité de mon geste et j’ai honte.

Il est certain que ma honte n’est pas réflexive, car la présence d’autrui à ma conscience, fût-ce à la manière d’un catalyseur, est incompatible avec l’attitude réflexive : dans le champ de ma réflexion, je ne puis jamais rencontrer que la conscience qui est mienne.

Or autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même : j’ai honte de moi tel que j’apparais à autrui.

Et, par l’apparition même d’autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme sur un objet, car c’est comme objet que j’apparais à autrui.

Mais pourtant cet objet apparu à autrui, ce n’est pas une vaine image dans l’esprit d’un autre.

Cette image en effet serait entièrement imputable à autrui et ne saurait me « toucher ».

Je pourrais ressentir de l’agacement, de la colère en face d’elle, comme devant un mauvais portrait de moi, qui me prête une laideur ou une bassesse d’expression que je n’ai pas ; mais je ne saurais être atteint jusqu’aux moelles : la honte est, par nature, reconnaissance.

Je reconnais que je suis comme autrui me voit. Tout ce texte tend à préserver l'originalité de la honte en supprimant deux malentendus. Le premier malentendu est celui de la réflexivité.

En effet, j'ai honte de moi.

Il semble donc que je prenne conscience de moi comme ayant accompli un acte blâmable, et que la honte soit conséquence ou modalité de la conscience de moi comme fautif à mes yeux.

Je serais juge de moi-même en cette conscience réflexive.

Or Sartre veut montrer le contraire : la honte ne se produit pas dans le rapport intime de moi à moi-même, elle est honte de moi devant autrui.

C'est parce que je suis vu que j'ai honte de moi : le regard d'autrui est la condition de la honte de moi-même.

Or il n'est pas donné dans ma pure conscience réflexive.

Certes, la honte est en ma conscience, mais elle implique que j'aie conscience de moi non pas seulement tel que je m'apparais à moi-même, mais tel que j'apparais à autrui.

Le second malentendu ferait du regard d'autrui la source de l'opinion qu'il a de moi.

La honte ne serait qu'une tristesse qu'elle causerait en moi si elle m'était défavorable.

Mais alors, soit que j'en craigne les conséquences, soit que je m'irrite du fait qu'autrui ne me connaisse pas tel que je suis, je n'identifierai pas à moi-même l'image qu'autrui se fait de moi, je préserverai plutôt une vérité de mon for intérieur contre tout ce qu'il pensera de moi.

Au contraire, la honte vient du fait que je me reconnais dans le regard d'autrui ; il n'est pas simplement ce qui donne à autrui une opinion ou une image de moi, vraie ou fausse, il me fait être à mes propres yeux ce que je suis pour lui. Dans la honte s'abolit la séparation absolue de mon être-pour-moi-même et de mon être-pour-autrui.

Je ne compare pas ce que je sais de moi par moi-même avec ce qu'autrui pense de moi autrui, en moi-même, me révèle à moi-même, bien qu'il ne me connaisse pourtant que du dehors. Il faut soumettre cette analyse à un examen critique.

Est-il vrai que je n'aie pas réflexivement honte de moi-même ? Qu'en est-il du regard de Dieu ? Que se passe-t-il quand j'accomplis un geste dont je sais qu'il n'est pas vulgaire, mais dont il m'apparaît soudainement qu'autrui peut le trouver tel : puis-je être à la fois irréprochable à mes yeux et éprouver de la honte devant autrui ? J'aurais alors honte de moi tel que j'apparais à autrui, sans me reconnaître en cette apparence.

Quel est enfin le rapport qu'entretiennent le regard réel d'autrui (quelqu'un me voit), et le regard possible (on pourrait me voir) ? En un mot, ai-je honte d'être vu, ou bien d'être visible ? SARTRE (Jean-Paul).

Né et mort à Paris, en 1905 et 1980. Il fait ses études au lycée Henry IV .

Elève de l'Ecole Normale supérieure de 1924 à 1928, il fut reçu premier à l'agrégation de philosophie, en 1929.

De 1931 à 1944, il fut professeur de lycée.

Il demanda et obtint un congé en 1945.

- La pensée de Sartre est influencée par Hegel, Husserl et Heidegger.

Ses premières recherches philosophiques ont porté sur l'imaginaire et l'imagination, qui consiste à se rendre présent un objet tenu pour absent.

« L'acte d'imagination est un acte magique : c'est une incantation destinée à faire apparaître la chose qu'on désire.» — La liberté se traduit par le retrait, c'est-à-dire la capacité de voir, dans ce qui est, ce qui n'est pas.

La conscience, qui est liberté et intentionnalité, est néantisation.

« La néantisation est l'acte par lequel la conscience se libère de l'en-soi en le pensant...

Le pour-soi surgit comme néantisation de l'en-soi.

» Sartre définit ainsi l'en- soi : « Il faut opposer cette formule : l'être en soi est ce qu'il est, à celle qui désigne l'être de la conscience (le pour-soi) : celle-ci en effet a à être ce qu'elle est...

L'être en-soi n'a pas de dedans qui s'opposerait à un dehors...

L'en-soi n'a pas de secret : il est massif.» L'en-soi désigne souvent, pour Sartre, la réalité matérielle.

Sa définition du pour-soi : « Le pour-soi, c'est l'en-soi se perdant comme en-soi, pour se fonder comme conscience.

» — Le pour-soi est une manière pour l'en-soi d'être sur le mode du non-être.

L'existence de la conscience porte témoignage de l'existence des choses.

La conscience est fascinée par ce qu'elle connaît :« son être est de n'être pas ce à quoi elle est présente.

» — « Le pour-soi est pour autrui.

» Sartre analyse l'autre et en rend compte par le trouble et la résistance qu'il provoque en nous.

Il définit : « Autrui, c'est l'autre, c'est-à-dire le moi qui n'est pas moi.

» La découverte de l'autre est un conflit, où les deux parties se posent toujours, l'une comme sujet, l'autre comme objet.

Il n'y a jamais deux sujets face à face.

« L'enfer, c'est les autres.

» — Son analyse du projet conduit Sartre à poser comme termes synonymes : être et faire.

Pour lui, l'existence précède l'essence.

— Telle est, succinctement et terminologiquement exposée, une doctrine qui est encore en plein accomplissement.. »

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