Jean-Paul SARTRE et la honte
Extrait du document
De quelle manière, par quel mécanisme tout à la fois complexe et composé de moments dialectiques – nier en dépassant – autrui apparaît comme l’intermédiaire indispensable pour que je puisse prendre, réflexivement, conscience de moi-même en tant qu’être effectivement existant et non pas simplement en tant que s’éprouvant subjectivement ?
C’est donc à la fois la nature de la relation à autrui qui est ici mise à la question, que la relation à moi-même comme conscience objective.
Mouvements du texte
Pour ce faire, Sartre déploie son analyse en trois principaux moments :
- 1er Moment : Ce 1er moment s’étend du début du texte jusqu’à « la conscience qui est mienne ». Dans ce 1er moment, Sartre expose l’épreuve qu’une conscience fait de soi quand elle est seule. Il introduit, comme s’il en analysait la genèse, le regard d’autrui pour étudier ce qui en découle.
- 2e Moment : Ce 2e moment s’étend de « Or autrui est le médiateur » jusqu’à « que j’apparais à autrui ». De là, il apparaît clairement qu’autrui est celui à partir duquel, par l’intermédiaire duquel la conscience de soi s’objectivise et devient conscience de soi-même. Mais cette relation a pour conséquence première la réification de soi dans le regard de l’autre.
- 3e Moment : Ce 3e moment s’étend de « Mais pourtant cet objet », jusqu’à la fin de l’extrait. Sartre va s’employer à préciser la nature de cette réification en montrant en réalité que je n’existe pas comme autrui me voit seulement dans son regard, non, je me reconnais moi-même comme étant tel qu’autrui me voit et par la je me libère de cette réification première en me reconnaissant moi-même. En ce sens, il apparaît clairement que l’expérience de la honte apparaît comme l’exemple synthétique à partir duquel se découvrent les mécanismes d’objectivation de la conscience de soi en conscience de soi-même à travers la relation à autrui.
«
Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à moi, je ne le juge ni le blâme, je le vis simplement
[...].
Mais voici tout à coup que je lève la tête : quelqu'un était là et m'a vu.
Je réalise tout à coup toute la
vulgarité de mon geste et j'ai honte.
[...] Or autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même : j'ai honte
de moi tel que j'apparais à autrui.
Et, par l'apparition même d'autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur
moi-même comme sur un objet [...].
Mais pourtant cet objet apparu à autrui, ce n'est pas une vaine image dans
l'esprit d'un autre.
Cette image en effet serait entièrement imputable à autrui et ne saurait me "toucher".
[...
] la
honte est, par nature, reconnaissance.
Je reconnais que je suis comme autrui me voit.
Chacun connaît la célèbre formule que l'on trouve dans huis clos "l'enfer, c'est les autres".
Ici, Sartre en explique les
fondements philosophiques, alors qu'il en donne une illustration plus vivante dans son théâtre.
Problématique.
Sartre part d'un exemple, d'une situation particulière, vécue, l'expérience de la honte.
Si l'ai honte d'un de mes
actes, c'est parce que le reconnais que le regard moqueur ou méprisant d'un autre serait tout à fait légitime, et
que, assistant à la même scène, je réagirais de la même manière.
Mon acte est alors effectivement "honteux", et je
lui accorde une valeur objective.
Enjeux.
On peut utiliser les arguments développés par Sartre lui-même pour nuancer la portée de ce texte.
Car après tout,
je ne puis avoir honte que si je reconnais mon acte comme honteux, et si je décide à l'avance d'accorder au point
de vue des autres un caractère objectif.
Après tout, si j'ai commis cet acte (regarder par le trou d'une serrure),
j'avais peut-être de bonnes raisons, ou je sais que de telles choses peuvent se faire, qu'elles font partie de ce qui
est humainement possible.
En tout cas, la honte apparaît bien comme une des figures de la servitude.
ARTRE: Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à
moi, je ne le juge ni ne le blâme, je le vis simplement, je le réalise sur le mode
du pour-soi.
Mais voici tout à coup que je lève la tête : quelqu'un était là et
m'a vu.
Je réalise tout à coup toute la vulgarité de mon geste et j'ai honte.
Il
est certain que ma honte n'est pas réflexive, car la présence d'autrui à ma
conscience, fût-ce à la manière d'un catalyseur, est incompatible avec
l'attitude réflexive : dans le champ de ma réflexion je ne puis jamais
rencontrer que la conscience qui est mienne.
Or autrui est le médiateur
indispensable entre moi et moi-même : j'ai honte de moi tel que j'apparais à
autrui.
Et, par l'apparition même d'autrui, je suis mis en mesure de porter un
jugement sur moi-même comme sur un objet, car c'est comme objet que
j'apparais à autrui.
Mais pourtant cet objet apparu à autrui, ce n'est pas une vaine image dans
l'esprit d'un autre.
Cette image en effet serait entièrement imputable à autrui
et ne saurait me « toucher Je pourrais ressentir de l'agacement, de la colère
en face d'elle, comme devant un mauvais portrait de moi, qui me prête une
laideur ou une bassesse d'expression que je n'ai pas ; mais je ne saurais être
atteint jusqu'aux moelles : la honte est, par nature, reconnaissance.
Je
reconnais que je suis comme autrui me voit.
Avez-vous compris l'essentiel ?
1 Est-ce par la réflexion que je découvre autrui ?
2 Que m'apporte au juste la présence de l'autre ?
3 Quelle menace peut présenter la présence d'autrui pour moi ?
Réponses:
1 - Non, la présence d'autrui ne peut provenir d'une réflexion, celle-ci ne me mettant en relation qu'avec ma propre
conscience.
2 - La possibilité de me connaître moi-même, de me prendre pour objet de ma conscience.
3 - L'autre peut certes me donner à voir ce que je suis réellement, mais il peut aussi me méconnaître, m'enfermer
dans une fausse image qu'il se fait de moi..
»
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