Jean-Paul SARTRE: autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même
Extrait du document
«
Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à moi, je ne le juge ni le blâme, je le vis simplement
[...].
Mais voici tout à coup que je lève la tête : quelqu'un était là et m'a vu.
Je réalise tout à coup toute la vulgarité
de mon geste et j'ai honte.
[...] Or autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même : j'ai honte de moi tel
que j'apparais à autrui.
Et, par l'apparition même d'autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur moi-même
comme sur un objet [...].
Mais pourtant cet objet apparu à autrui, ce n'est pas une vaine image dans l'esprit d'un
autre.
Cette image en effet serait entièrement imputable à autrui et ne saurait me "toucher".
[...
] la honte est, par
nature, reconnaissance.
Je reconnais que je suis comme autrui me voit.
Chacun connaît la célèbre formule que l'on trouve dans huis clos "l'enfer, c'est les autres".
Ici, Sartre en explique les
fondements philosophiques, alors qu'il en donne une illustration plus vivante dans son théâtre.
Problématique.
Sartre part d'un exemple, d'une situation particulière, vécue, l'expérience de la honte.
Si l'ai honte d'un de mes actes,
c'est parce que le reconnais que le regard moqueur ou méprisant d'un autre serait tout à fait légitime, et que,
assistant à la même scène, je réagirais de la même manière.
Mon acte est alors effectivement "honteux", et je lui
accorde une valeur objective.
Enjeux.
On peut utiliser les arguments développés par Sartre lui-même pour nuancer la portée de ce texte.
Car après tout, je
ne puis avoir honte que si je reconnais mon acte comme honteux, et si je décide à l'avance d'accorder au point de vue
des autres un caractère objectif.
Après tout, si j'ai commis cet acte (regarder par le trou d'une serrure), j'avais peutêtre de bonnes raisons, ou je sais que de telles choses peuvent se faire, qu'elles font partie de ce qui est
humainement possible.
En tout cas, la honte apparaît bien comme une des figures de la servitude.
ARTRE: Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à
moi, je ne le juge ni ne le blâme, je le vis simplement, je le réalise sur le mode du
pour-soi.
Mais voici tout à coup que je lève la tête : quelqu'un était là et m'a
vu.
Je réalise tout à coup toute la vulgarité de mon geste et j'ai honte.
Il est
certain que ma honte n'est pas réflexive, car la présence d'autrui à ma
conscience, fût-ce à la manière d'un catalyseur, est incompatible avec l'attitude
réflexive : dans le champ de ma réflexion je ne puis jamais rencontrer que la
conscience qui est mienne.
Or autrui est le médiateur indispensable entre moi et
moi-même : j'ai honte de moi tel que j'apparais à autrui.
Et, par l'apparition même d'autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement
sur moi-même comme sur un objet, car c'est comme objet que j'apparais à
autrui.
Mais pourtant cet objet apparu à autrui, ce n'est pas une vaine image dans
l'esprit d'un autre.
Cette image en effet serait entièrement imputable à autrui et
ne saurait me « toucher Je pourrais ressentir de l'agacement, de la colère en
face d'elle, comme devant un mauvais portrait de moi, qui me prête une laideur
ou une bassesse d'expression que je n'ai pas ; mais je ne saurais être atteint
jusqu'aux moelles : la honte est, par nature, reconnaissance.
Je reconnais que
je suis comme autrui me voit.
Avez-vous compris l'essentiel ?
1 Est-ce par la réflexion que je découvre autrui ?
2 Que m'apporte au juste la présence de l'autre ?
3 Quelle menace peut présenter la présence d'autrui pour moi ?
Réponses:
1 - Non, la présence d'autrui ne peut provenir d'une réflexion, celle-ci ne me mettant en relation qu'avec ma propre
conscience.
2 - La possibilité de me connaître moi-même, de me prendre pour objet de ma conscience.
3 - L'autre peut certes me donner à voir ce que je suis réellement, mais il peut aussi me méconnaître, m'enfermer dans
une fausse image qu'il se fait de moi..
»
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