Individu et personne
Extrait du document
«
Observation.
— Les deux termes individu et personne, ou individualité et personnalité, sont encore souvent
confondus par certains auteurs (par exemple, G.
Gurvitch, Vocation actuelle de la Sociologie, éd.
1950, p.
26 : «
Philosophes, juristes...
se plaisaient à traiter de l'individu (ou de la personne humaine) d'une part, de l'autre de la «
société » (ou de la « collectivité ») comme s'il s'agissait d'entités abstraites »), ce qui entraîne, comme on le verra,
de multiples confusions d'idées.
Le parler courant manifeste un sens plus sûr de la langue.
Un journal, relatant un
cambriolage, n'écrit pas « Une personne s'est introduite dans l'appartement de M.
X...
», mais : « Un individu...
»,
et, rendant compte d'une cérémonie, il ne dit pas : « Les individualités officielles...
», mais : « Les personnalités
officielles...
»
Position de la question.
Les termes individu et personne ne sont pas équivalents, et le langage courant, en
général, ne les emploie pas comme tels.
Il y a entre eux une différence, non seulement de sens, mais de valeur, que
nous allons essayer de préciser.
I.
L'individu (ou l'individualité).
A.
— Nous remarquerons d'abord que le domaine d'application de la notion d'individu est extrêmement large et
déborde de beaucoup la psychologie.
LUCRÈCE appelait individus les atomes matériels, et les physiciens
contemporains emploient l'expression d' « individus physiques » à propos des corpuscules qui sont les composants de
l'atome.
Mais c'est surtout en biologie que le terme s'appliquera de préférence : l'individualité est un phénomène
caractéristique de tout être vivant.
En sociologie, l'individu sera l'unité dont se compose la société (à moins qu'avec
Aug.
COMTE on ne fasse jouer ce rôle à la famille).
En psychologie et plus spécialement en caractérologie, le terme
impliquera une idée d'originalité : aucun individu n'est absolument semblable à un autre.
On se rapproche par là du
sens, assez spécial, que le mot peut avoir en logique : un « individu » est alors un terme singulier, qui désigne un
cas unique, et c'est en ce sens qu'on a soutenu qu' « il n'y a pas de science des individus ».
B.
— Sans insister sur ce dernier sens, on peut définir l'individu par les caractères suivants : — 1° L'individu est un
être concret : il se distingue par là du genre et de l'espèce qui sont des abstractions.
— 2° Individualité implique
unité : l'individu forme un tout.
Étymologiquement l'individu est même l'indivisible.
C'est ainsi que les Anciens
considéraient l'atome comme l'élément dernier, insécable et simple de la matière.
Même lorsqu'il est regardé comme
complexe, l'individu présente une unité en ce sens que ses parties sont solidaires et ne peuvent être séparées sans
que sa nature soit altérée.
Tel est le cas de l'atome des savants modernes.
Tel est surtout le cas de l'organisme
vivant : même un être monocellulaire est complexe, mais ses différents éléments sont interdépendants et coopèrent
à la vie de l'ensemble; c'est cette solidarité qui caractérise la vie.
— 3° L'individualité implique aussi une certaine
identité.
Cette identité n'exclut pas le changement de façon absolue.
Un être vivant change puisqu'il vit, mais ces
transformations ne l'empêchent pas de demeurer, en un sens, le même.
—4° Enfin l'individualité implique l'unicité,
l'originalité.
Il n'est pas deux individus qui soient parfaitement semblables.
LEIBNIZ avait fait de ce caractère la base
de son « principe des indiscernables ».
C'est souvent ce dernier caractère
que l'on a surtout en vue lorsqu'on parle de l'individualité humaine.
C.
— C'est pourquoi il est classique d'opposer l'individu et la société.
Certains
auteurs contemporains ont cependant critiqué cette opposition comme «
illusoire » (Gurvitch, ouv.
cité, p.
29).
S'inspirant de la thèse
phénoménologique selon laquelle l'expérience de « l'autre » est immanente à
l'expérience du moi, ils ont soutenu que « l'individu est immanent à la société
et la société immanente à l'individu » et qu' « on retrouve la société dans les
profondeurs du moi » (Ibid., p.
27).
Il y a là, en réalité, un contresens fondé
sur une double confusion : celle de l'intersubjectivité (rapport avec autrui)
avec le social proprement dit, et celle de l'individu avec la personne.
On verra
bientôt en effet que celle-ci implique la dimension sociale.
Mais il en va tout
autrement de l'individu.
L'homme est, comme tout être vivant, un individu par
son corps, par son tempérament, par son « naturel », c'est-à-dire par son
idiosyncrasie physiologique et par la forme que celle-ci impose à ses
dispositions psychiques propres.
Bien entendu, à ces dispositions premières,
vient se superposer — et cela, à vrai dire, de très bonne heure — tout ce que
l'individu recevra de l'éducation, de la fréquentation de ses semblables, de
son existence quotidienne dans les cadres de la société où il vit.
Comme
l'observe le sociologue anglais Morris GINSBERG (L'individu et la société, dans
le Bull.
international des sc.
sociales, VI, 1954, no 1, p.
164), les « langues,
les institutions, les systèmes juridiques, les arts ont leurs formes propres que l'individu trouve dans son héritage et
auxquelles il lui faut s'adapter ».
Mais, tout cela est en quelque sorte, selon l'expression de DURKHEIM, du surajouté,
et d'ailleurs, même lorsque cet « héritage social » s'est incorporé à son être réel, il demeure « chez chacun un fonds
d'individualité unique et, en fin de compte, inexprimable et incommunicable » (GINSBERG, art.
cité, p.
162).
Si l'on
faisait abstraction de cet apport social, il resterait l'individu nu, si l'on peut ainsi parler, et ce que l'on retrouverait
alors dans les « profondeurs » du moi, ce serait ce fonds « incommunicable »; ce seraient la mentalité amorphe, la
rêverie vague, la pensée inadaptée au réel, l'égocentrisme du tout jeune enfant et même l'autisme du schizophrène.
Le psychologue Ch.
BLONDEL l'avait déjà dit quand il définissait la « conscience morbide » comme une conscience
désocialisée.
— Il s'en faut cependant que ces dispositions, qui constituent l'individu, soient toutes d'ordre.
»
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