Imaginer, est-ce seulement nier la réalité ?
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La force de l'imagination n'est-elle pas de créer ce qui ne peut être réel ? La faculté d'imaginer permet de se
représenter quelque chose en son absence, et de se représenter quelque chose qui n'existe pas.
En quoi est-ce une
négation du réel ? Comment l'imagination pourrait-elle être la négation de la réalité ? Ne se fonde-t-elle pas toujours
sur des éléments du réel ? Peut-on créer un monde imaginaire qui soit hors de toute réalité ? Comment est-il
possible de nier la réalité ? Imaginer, est-ce seulement se réfugier hors du réel ? Si l'imagination nie le réel, comment
distinguer ce qui est imaginaire de ce qui est réel ? Plus l'image colle, calque le réel, plus la différence entre
imagination et réel apparaît comme décisive : peut-être parce qu'on ne passe pas simplement du possible imaginé au
réel effectif par un simple acte de transposition d'un ordre dans l'ordre.
Bergson, dans La Pensée et le mouvant, (Le
possible et le réel) montre que le possible est un réel par l'acte de conscience qui consiste à en nier l'existence.
Si
l'imagination calque le réel, elle consiste à nier "la réalité" c'est-à-dire l'existence de la chose.
Imaginer, au sens de
l'imagination reproductrice, c'est aussi pouvoir se représenter quelque chose en son absence (l'existence effective
en moins, comme existant seulement en pensée).
L'imagination ne nie donc pas la réalité, mais essaie de lui
redonner une présence.
Problématique:
L'imagination nous permet de nous représenter des images qui se substituent aux données de la perception: on
ferme les yeux.
Mais, la réalité ne se limite pas à ce que l'on perçoit, tandis qu'on perçoit mieux ce que l'on a pu
imaginer, pour créer des réalités nouvelles.
Imaginer, est-ce seulement nier la réalité?
1) Répondre à une question, c'est discuter l'affirmation qui s'y trouve mise sous forme interrogative.
Ici, il s'agit de
discuter l'affirmation: "imaginer, est-ce seulement nier la réalité".
On a donc deux choses à faire: a) Etablir qu'on
peut en effet penser et dire: "imaginer c'est nier la réalité".
B) Chercher les raisons qui peuvent conduire à douter de
cette assertion, à la considérer comme problématique.
a) Il paraît assez évident qu'imaginer, c'est "nier" la réalité.
Nous oyons bien que celui qui se livre à la rêverie se
détourne de la situation dans laquelle il se troue et de l'action qu'elle exige de lui.
Que celui qui joue (l'enfant qui
métamorphose un jardin en terre d'aventures et des coquilles de noix en aisseaux) ne prend pas en compte la nature
des choses qu'il transforme en symboles de l'univers imaginaire dans lequel il s'installe.
Que le poète refuse, dans "ce
qui est", la "trivialité prosaique".
Que celui qui se fait des illusions est incapable d'admettre les faits qui
conditionnent pourtant son existence.
Remarque: Le premier travail requis pour traiter un sujet est celui qu'on vient d'esquisser ici: il s'agit de se donner un
certain nombre de faits relatifs à l'objet dont on traite.
Ici , on s'est donné diverses formes de l'acte d'imaginer: la
rêverie, le jeu, la fiction, l'illusion.
Ces diverses formes peuvent d'ailleurs servir de matériau d'analyse pour tout sujet
relatif à l'imagination.
On portera attention particulièrement au jeu et aux diverses espèces de la fiction (du roman à
l'utopie).
b) S'il est immédiatement évident qu'imaginer, c'est nier la réalité, d'où vient qu'on puisse poser la question de savoir
s'il en est bien ainsi? On remarquera dans le libellé du sujet l'adverbe "seulement" dont on a fait abstraction jusqu'ici.
Le problème n'est pas de savoir si imaginer, c'est ou ce n'est pas nier la réalité, mais de savoir si c'est seulement la
nier.
On pose donc comme allant de soi -il n'y a pas lieu d'en discuter- qu'imaginer c'est toujours nier la réalité, mais
pas seulement ou pas absolument.
Le problème posé donc est: étant entendu qu'imaginer c'est nier la réalité, estce là le tout de l'acte d'imaginer ou une partie seulement? On est donc invité à considérer l'imagination comme
comportant, au regard de la réalité, une dimension positive.
2) Subsiste une difficulté: en quel sens faut-il entendre le terme de nier? On l'a pris jusqu'ici en un sens très lâche,
comme synonyme de "ne pas prendre en compte", "être incapable d'admettre", "refuser".
Or une négation n'est pas
la même chose qu'un refus ou qu'un aveuglement.
Nier est une opération consciente de jugement.
Elle consiste
généralement à refuser son assentiment à une proposition (et non pas à décliner l'offre d'une chose ou ne pas
vouloir s'engager dans une action).
Nier une proposition, c'est la tenir pour fausse.
Ainsi, on peut nier la réalité de
quelque fait qu'on estime controuvé ou nier l'idée que quelqu'un se forme d'un fait.
La négation intervient aussi dans
l'idée de possible.
Envisager une chose comme possible, c'est envisager qu'elle puisse également ne pas être.
Par
exemple, si j'affirme comme possible qu'il fera beau demain, je suppose qu'il est également possible qu'il ne fasse pas
beau.
Quel sens peut avoir alors l'expression "nier la réalité"? Il semble bien difficile de nier que ce qui est, est: dire: "la
réalité n'est pas", c'est une contradiction.
En revanche, il est possible de nier que ce qui paraît être soit
effectivement; il est possible de nier que le simple fait de l'existence d'une chose nous assure de l'impossibilité pour
elle d'être autrement.
(On répute souvent chimériques certains projets en se contentant de leur objecter la réalité
présente.
Ce n'est pas une objection recevable, car la réalité peut changer et être changée, du moins sous certains
de ses aspects.)
Imaginer ce pourra être alors non pas nier, absolument, la réalité, mais nier que ce qui s'impose à nous comme réel
le soit effectivement, ou nier que la réalité se réduise à ce qu'elle est présentement.
La négation porte sur la réalité
telle que nous la croyons être, non sur la réalité même.
3) Une analyse un peu plus serrée de ces idées pourrait être appuyée par la lecture de Sartre.
Dans "L'imaginaire",
mais aussi dans "L'être & le néant", il montre que l'esprit de sérieux nous conduit à croire que la réalité se réduit à
un ensemble de faits et de choses qui ne sauraient être autrement qu'ils ne sont et dont la nature nous dicterait
notre conduite.
Nous sommes enclin à penser que, de l'imagination qui nous détourne d'une réalité ainsi comprise,
nous sommes seulement des victimes.
Sartre considère au contraire qu'imaginer est une conduite (un comportement
délibérément choisi) et qu'elle trouve sa source et son fondement dans l'aptitude de la conscience à "néantiser" ce.
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