IMAGINER, EST-CE SEULEMENT NIER LA REALITÉ ?
Extrait du document
«
Problématique:
L'imagination nous permet de nous représenter des images qui se substituent aux données de la perception: on
ferme les yeux.
Mais la réalité ne se limite pas à ce que l'on perçoit, tandis qu'on perçoit mieux ce que l'on a pu
imaginer, pour créer des réalités nouvelles.
introduction
« Imagination, ô toi qui nous emportes / Parfois si loin de nous qu'on ne s'aperçoit pas / Que sonnent à l'entour plus
de mille trompettes, / Qu'est-ce qui t'émeut donc, si les sens ne t'éveillent ? » s'interrogeait Dante dans sa Divine
Comédie (Purgatoire, XVII).
Imaginer, en effet, c'est bien quitter la réalité, puisque la conscience imageante pose
comme absent ou comme irréel ce qu'elle imagine.
En nous tournant vers l'imaginaire, nous nous détournons du réel,
nous le nions donc.
Mais imaginer, est-ce seulement nier la réalité ?
Première partie : L'imagination, condition de la liberté selon Sartre
a) Pour Sartre, « s'il était possible de concevoir un instant une conscience qui
n'imaginerait pas, il faudrait la concevoir comme totalement engluée dans
l'existant et sans possibilité de saisir autre chose que l'existant ».
Sans
l'imaginaire l'homme resterait prisonnier du monde et enseveli par lui.
Car c'est
grâce à l'imaginaire que la conscience peut se saisir comme telle, à savoir
comme néantisation et comme dépassement du monde, c'est-à-dire comme
liberté.
De fait « le glissement du monde au sein du néant et l'émergence de
la réalité humaine dans ce même néant ne peut se faire que par la position de
quelque chose qui est néant par rapport au monde et par rapport à quoi le
monde est néant » (id.).
Tel est précisément le mouvement de l'imaginaire.
b) Imaginer un objet, c'est, en effet, le « néantiser » en cessant de
considérer qu'il appartient au monde réel.
Lorsque je perçois un objet réel, je
le perçois comme élément d'un ensemble qui est la réalité totale.
Même si je
concentre mon attention sur lui, je le saisis comme présent et en continuité
avec les autres objet réels, avec le monde, eux-mêmes présents.
En
revanche, quand j'imagine ce même objet, je l'isole et le saisis comme absent.
Certes je sais que cet objet existe réellement, mais en tant que je l'imagine je
le vise là où il ne m'est pas donné.
Dès lors je le saisis « comme un néant
pour moi » (id., p.
348).
Ou encore, quand j'imagine un événement à venir, «
je détache l'avenir du présent dont il constituait le sens.
Je le pose pour luimême et je me le donne.
Mais précisément je me le donne en tant qu'il n'est
pas encore, c'est-à-dire comme absent ou si l'on préfère comme un néant » (id., p.
350).
Là encore, j'isole
l'événement de toute réalité en « le présentifiant comme néant ».
c) II apparaît donc qu'imaginer est un acte négatif : c'est poser une thèse d'irréalité, à savoir simultanément isoler
et anéantir un objet.
Mais poser l'objet comme un néant par rapport au monde, c'est la même chose que poser le
monde comme néant par rapport à l'image.
Car « poser une image c'est constituer un objet en marge de la totalité
du réel, c'est donc tenir le réel à distance, s'en affranchir, en un mot le nier.
Ou si l'on préfère, nier d'un objet qu'il
appartienne au réel, c'est nier le réel en tant qu'on pose l'objet ; les deux négations sont complémentaires et celleci est condition de celle-là » (id., p.
352).
d) Ainsi la conscience imageante pose son objet comme hors du réel et du même coup néantise le réel en le
dépassant.
Par là, elle révèle la liberté de la conscience tout entière : « lorsque l'imaginaire n'est pas posé en fait, le
dépassement et la néantisation de l'existant sont enlisés dans l'existant ; le dépassement et la liberté sont là mais
ils ne se découvrent pas, l'homme est écrasé dans le monde, transpercé par le réel, il est le plus près de la chose »
(id., p.
359).
Et toute conscience est liberté parce que la conscience réalisante enveloppe nécessairement un
dépassement vers une conscience imageante, qui elle-même autorise et fonde la conscience réalisante.
« II ne
saurait y avoir de conscience réalisante sans conscience imageante et réciproquement » (id., p.
361).
C'est la
raison pour laquelle l'imagination est « une condition essentielle et transcendantale de la conscience.
Il est aussi
absurde de concevoir une conscience qui n'imaginerait pas que de concevoir une conscience qui ne pourrait
effectuer le cogito » (id.).
Transition.
On peut cependant se demander si l'imagination véritable ne dépasse pas cette simple faculté de former des images,
et si elle n'ouvre pas sur un « irréel » qui serait plus qu'une simple négation de la réalité perçue.
En d'autres termes,
l'objet de l'imagination n'est-il un irréel que par rapport à la perception actuelle, ou son irréalité est-elle radicale ? Le
monde de l'imaginaire ne possède-t-il pas une complète autonomie à l'égard de celui de la perception ?.
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