Aide en Philo

Imaginer, est-ce fuir la réalité ?

Extrait du document

« Ce que vous savez Le mot « irréel » est étrange, car comment peut-on parler de ce qui n'existe en aucune façon ? Mais ce paradoxe trouve aisément sa solution, semble-t-il, car par « irréel » on entend généralement ce qui est imaginaire. L'imagination apparaît donc comme la faculté d'entrer dans un monde illusoire. On ne peut imaginer que ce qui est absent.

Il semble en résulter que l'imagination soit une forme de distraction, par laquelle on s'évade de la réalité présente. Il y a cependant plusieurs manières d'imaginer.

Par la rêverie, ou par l'élaboration d'une fiction, il semble que nous rompions les attaches qui nous lient à la réalité.

En revanche, il arrive également que nous essayions par l'imagination d'anticiper l'avenir, ou de nous représenter ce qui se passe ailleurs.

Cette forme de l'imagination semble donc bien viser la réalité, même s'il n'est pas du tout évident qu'elle puisse la rejoindre. La réalité quotidienne peut sembler pauvre, en sorte que nous éprouverions le besoin psychologique de l'enrichir par l'imagination.

Ceci n'est peut-être pas tout à fait une fuite, même si ça y ressemble. Les grandes inventions ont d'abord été imaginées avant d'être réalisées.

L'intelligence technicienne et l'imagination ne sont donc peut-être pas si éloignées qu'on aurait tendance à le croire. L'art met en oeuvre l'imagination, en manifestant son pouvoir créateur.

En effet, une oeuvre d'art n'est pas simplement une rêverie, mais elle implique un travail sur la matière dont on peut admirer le résultat.

Il n'est pas si facile de juger si ce résultat est « réel » : il l'est sans aucun doute dans la mesure où il est accessible aux sens et où donc on peut vérifier son existence, mais il représente un produit de l'imagination, et certains ne verront dans l'art qu'un moyen d'évasion.

Faut-il accepter cette opinion réductrice, ou bien ne faut-il pas plutôt étendre l'idée que nous nous faisons de la réalité ? Les mythes sont imaginaires, et pourtant porteurs de sens.

Leur fonction n'est pas simplement de distraire, comme s'ils n'étaient que des histoires que l'on raconte aux enfants pour qu'ils s'endorment, mais beaucoup plus essentiellement de faire comprendre des vérités profondes, qu'il serait sans doute difficile d'appréhender directement, par le seul usage de la raison. Ce qu'il faut comprendre La question n'est pas de savoir si nous avons tort ou raison de fuir la réalité par l'imagination.

Il ne faudra donc pas s'étendre sur les difficultés de l'existence qui obligeraient à la fuir, ni non plus donner des leçons de morale en disant qu'il faut savoir regarder la réalité en face.

Ce sont au contraire ces préjugés qui doivent faire l'objet d'une remise en question. Le sujet ne porte pas seulement sur l'imagination, mais aussi sur la réalité, notion beaucoup plus difficile qu'il n'y paraît.

Rien n'autorise en effet à restreindre la réalité à la seule représentation que nous en avons, représentation qui relève d'ailleurs de l'imagination, et dont pourtant l'imagination invite à dépasser les limites. Si l'on a bien compris cela, à savoir que le sujet invite à ne pas confondre le réel et l'ordinairement vécu ou le quotidien, il s'ensuit qu'il ne faudra pas se contenter de distinguer la « bonne » imagination, celle de l'inventeur, qui serait tournée vers la réalité, et la « mauvaise » imagination, celle du rêveur, qui serait oiseuse et stérile, à la fois perte de temps et faux remède aux difficultés de la vie.

D'une part, en effet, l'artiste montre que l'on peut imaginer librement, sans le souci de penser la réalité physique telle qu'elle est, sans que ce ne soit pure passivité stérile de l'esprit, puisqu'une oeuvre est créée.

D'autre part, et surtout, la fiction peut être porteuse de sens, et en cela plus réelle peut-être que ce qui se passe dans notre vie et dont nous ne garderons aucun souvenir.

Là encore, il conviendrait de parler de l'art, et de se demander en quel sens il est porteur de vérité, même en faisant strictement abstraction de sa valeur « documentaire ». Une référence utile « Il n'y a pas de pensée sans image », écrit Aristote dans le traité intitulé De l'Âme.

En effet, la pensée exige un dépassement de la simple constatation présente.

Et même si l'image n'a pas la force de la sensation, son caractère illimité permet de rassembler plusieurs représentations, ce qui conduit l'intelligence à l'universel.

De plus, nous avons besoin de nous représenter sous une forme sensible même les réalités suprasensibles.

C'est ainsi que le mathématicien s'aide de figures, qui ne sont pourtant qu'une représentation déformée et individualisée du concept qu'il étudie - rappelons que par exemple aucun cercle figuré n'est parfaitement circulaire, et même que, par définition, puisqu'il est un ensemble de points, aucun cercle n'a d'épaisseur, ce qui n'empêche pas de travailler sur des figures qui ne font que ressembler à l'idée du cercle, mais qui sont nécessaires - et de même le philosophe se sert d'exemples pour atteindre l'universel. On peut commenter cette pensée en dénonçant la représentation ordinaire de l'imagination, qui tend à la réduire à une sorte de faculté parasite, « maîtresse d'erreur et de fausseté » disait Pascal, par laquelle nous serions détournés de la réalité véritable qui seule devrait requérir notre attention.

S'il n'y a pas de pensée sans image, cela veut dire que l'imagination est constamment présente dans toute intellection, même rigoureuse.

Certes, l'esprit doit apprendre à repérer la part d'imaginaire qui se trouve dans sa pensée, mais ce retour réflexif ne signifie pas mise à l'écart de l'imagination, mais usage raisonné. Quelle stratégie adopter ? Il faut montrer son aptitude à dépasser les préjugés ordinaires, c'est-à-dire ici la représentation que l'on se fait de la réalité, qui conduit à séparer deux mondes, l'un réel qui se caractériserait par ses limites, et l'autre imaginaire où. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles