« Il y eut un temps où le voyage confrontait le voyageur à des civilisations radicalement différentes de la sienne et qui s'imposaient d'abord par leur étrangeté. Voilà quelques siècles que ces occasions deviennent de plus en plus rares. Que ce soit dans
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Un temps n'est plus ! Celui où le voyage comblait le goût de l'exotisme que nourrissait la fascination exercée par les pays lointains — l'appel de Tailleurs se traduisant sinon par un départ effectif, du moins par une curiosité avide pour les mœurs étrangères en même temps qu'étranges. Ce temps est idéalement illustré, aux yeux de C. Lévi-Strauss, rousseauiste convaincu, par le xviiie siècle, même si de toute évidence d'autres siècles pourraient être évoqués, notamment celui des grandes découvertes. Mais c'est particulièrement au xviiie que le voyage est valorisé positivement comme confrontant « le voyageur à des civilisations radicalement différentes de la sienne et qui s'imposent d'abord par leur étrangeté ». C'est cette nostalgie d'un voyage dépaysant — au sens strict — qu'exprime ici l'auteur de Tristes tropiques. Si le voyage n'offre plus actuellement de telles surprises c'est, sans doute, que la société occidentale a imposé son propre modèle à l'échelle du monde. Mais le voyage n'a-t-il plus d'attraits pour autant ?
«
Un temps n'est plus ! Celui où le voyage comblait le goût de l'exotisme que nourrissait la fascination exercée par les pays lointains —
l'appel de Tailleurs se traduisant sinon par un départ effectif, du moins par une curiosité avide pour les mœurs étrangères en même
temps qu'étranges.
Ce temps est idéalement illustré, aux yeux de C.
Lévi-Strauss, rousseauiste convaincu, par le xviiie siècle, même si de toute évidence
d'autres siècles pourraient être évoqués, notamment celui des grandes découvertes.
Mais c'est particulièrement au xviiie que le voyage
est valorisé positivement comme confrontant « le voyageur à des civilisations radicalement différentes de la sienne et qui s'imposent
d'abord par leur étrangeté ».
C'est cette nostalgie d'un voyage dépaysant — au sens strict — qu'exprime ici l'auteur de Tristes tropiques.
Si le voyage n'offre plus
actuellement de telles surprises c'est, sans doute, que la société occidentale a imposé son propre modèle à l'échelle du monde.
Mais le
voyage n'a-t-il plus d'attraits pour autant ?
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Le voyage à travers l'Europe est un élément de la formation des écrivains du XVIIIe siècle soucieux de cosmopolitisme et animés par
un esprit d'ouverture.
Mais le voyage lointain est encore plus attractif puisqu'il permet d'entrer au contact du Sauvage, resté à
proximité de l'état de nature.
Le voyage réalise alors une triple vocation : sortir l'humanité « éclairée » de son insularité européenne voire parisienne — qu'on se
souvienne du « Comment peut-on être Persan ? » de Montesquieu — en l'ouvrant sur la diversité des mœurs que pratiquent les
différents peuples ; plaider, par voie de conséquence, pour la tolérance en arguant du relativisme culturel, à la manière du Voltaire des
Lettres philosophiques; reconstruire une généalogie de l'humanité qui aboutisse à un état de nature, simplement hypothétique pour les
uns, réel pour les autres, afin de dévoiler les rouages de la socialisation, comme Rousseau dans VEssai sur l'origine et les fondements
de l'inégalité parmi les hommes.
L'état de nature est, au double sens du mot « but » — comme motif et point d'aboutissement —, la fin du voyage puisqu'il porte à son
extrême le sentiment d'étrangeté.
L'homme naturel est assurément étrange puisqu'il est homme sans posséder aucun des attributs de
la culture.
Tel est, au bout du compte, le ressort du voyage : nous faire rencontrer d'autres hommes tout en nous permettant de nous
reconnaître en eux.
Ils représentent ce que nous pourrions être si nous n'étions pas nés, par hasard, dans telle société donnée.
Philosophie du voyage que les écrivains du xviiie siècle ont systématisée et que C.
Lévi-Strauss regrette de ne pouvoir plus mettre en
œuvre.
La société occidentale industrielle assure ou tend à assurer sa domination sur l'ensemble des autres cultures par son développement
économique.
Par l'effet de sa puissance captivante, elle n'oblige pas seulement les autres sociétés à adopter ses innovations
technologiques mais, également, le système de valeurs dont ces dernières sont porteuses.
Aussi est-ce l'originalité des différentes
cultures qui se trouve, à terme, menacée.
Elles sont mises en demeure de croire au progrès continu et uniforme et de s'efforcer de
l'imiter avec des moyens qui ne sont pas toujours à la mesure de cette ambition.
Quiconque a été plongé dans la circulation automobile
d'une ville d'un pays « sous-développé » — le qualificatif est, à lui seul, significatif—, au Caire, à Calcutta ou à Dakar, a pu s'étonner
de reconnaître des modèles de voitures passés de mode en France depuis dix ou vingt ans !
Sans se rendre si loin et en restant dans des pays industrialisés, il suffit de se promener dans une capitale des pays de l'Est, Berlin-Est,
Varsovie ou Prague, pour croire, à maints égards, se retrouver dans une quelconque sous-préfecture d'une province française des
années cinquante.
Les sociétés s'étirent à la manière d'un peloton de coureurs; certains caracolent en tête du progrès tandis que d'autres piétinent sans
pouvoir cependant renoncer à emprunter un parcours obligé.
Voyager, dès lors, permet seulement d'apprécier l'efficacité de chaque
pays visité pour participer aux « bienfaits » du progrès.
Faut-il s'en tenir à cette attitude, somme toute, pessimiste?
Les écrivains ont toujours beaucoup voyagé — voyage obligé à Rome pour les écrivains de la Renaissance française, fascination de
l'Angleterre pour les philosophes du XVIIIe, de l'Orient et de l'Allemagne pour les Romantiques —, ont continué de le faire malgré les
préventions de C.
Lévi-Strauss — comme l'écrivain « bourlingueur » Biaise Cendrars — et continueront, sans aucun doute, de s'y
consacrer.
Le voyage s'impose comme une source d'inspiration littéraire.
« Toute fiction s'inscrit donc en notre espace comme voyage, et l'on peut dire à cet égard que c'est là le thème fondamental de toute
littérature romanesque » (M.
Butor, Essais sur le roman, Paris, 1964).
Une tradition, de Montaigne à Michaux (Un barbare en Asie), se soumet à l'injonction socratique du « Connais-toi toi-même » et
recommande, à cet effet, le voyage comme complément indispensable de la littérature pour se mettre à distance de soi en éprouvant
d'autres manières d'être.
Elle est encore à l'œuvre chez des auteurs comme Gide (Voyage au Congo, 1927 ; Le Retour du Tchad, 1928 ; Retour de l'URSS, 1936,
et les Retouches) ou S.
de Beauvoir et J.-P.
Sartre, pour ne citer que ces exemples.
Le voyage devient alors politique.
Soit que ces
écrivains dénoncent les oppressions ou les injustices, soit qu'ils se rendent dans des pays qui s'essaient à concrétiser — ou prétendent
avoir réalisé — un nouveau système social, leur attitude manifeste un attrait pour une nouvelle forme d'étrangeté : l'exotisme
idéologique.
Décidément, le goût du voyage ne s'éteint guère et Montaigne a toutes les chances, pendant longtemps encore, d'être entendu : « Le
voyage me semble un exercice profitable.
L'âme y a une continuelle excitation à remarquer des choses inconnues et nouvelles ; et je
ne sache point meilleure école, comme j'ai dit souvent, à former la vie que de lui proposer incessamment la diversité de tant d'autres
vies, fantaisies et usances, et lui faire goûter une si perpétuelle variété de formes de notre nature.
» (Les Essais, in, ix, De la vanité.)
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Le scepticisme de C.
Lévi-Strauss peut être entamé.
Il est, tout autant, attachement au passé que signe de perspicacité.
Le voyage
n'est pas seulement toujours possible, il est quotidien.
Et lire, n'est-ce pas être transporté du lieu de la lecture vers celui où nous mène
le récit ? « La station que représente le lieu décrit dans ce voyage d'aller et retour inhérent à toute lecture, peut avoir avec l'endroit où
je me trouve des relations spatiales fort diverses ; la distance romanesque n'est pas seulement une évasion, elle peut introduire dans
l'espace vécu des modifications tout à fait originales.
» (M.
Butor, op.
cit.)
Le voyage, quel qu'il soit, en nous projetant ailleurs nous plonge en nous-même.
Il est essentiellement voyage intérieur.
Ce qui n'est
pas la moindre des étrangetés..
»
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