Il n'y a pas de vérités premières: il n'y a que des erreurs premières disait Bachelard. Qu'en pensez-vous ?
Extrait du document
«
« Il n'y a pas de vérités premières : il n'y a que des erreurs premières », a dit M.
Bachelard.
— Qu'en pensez-vous ?
Martin Heidegger, dans l'un de ses cours inédits, mais néanmoins célèbres, proclame la crise des
fondements dans les sciences contemporaines.
Après la fausse alerte du début de ce siècle, où une
époque scientiste sentait brusquement que tout sombrait dans les découvertes les plus contradictoires
et apparemment les plus folles, et où l'on n'hésita point à parler d'une faillite de la science, Duhem,
Poincaré ou Brunschvicg s'employèrent à montrer la différence du déclin au désastre à leurs
contemporains.
Mais depuis 1900, l'ensemble de ces problèmes se sont posés ou aggravés dans des
proportions telles que M.
Bachelard a pu écrire : « Il n'y a pas de vérités premières : il n'y a que des
erreurs premières ».
I.
— L'ABANDON DES ABSOLUS MATHÉMATIQUES
1.
Successivement, la théorie de la Relativité restreinte, celle de la Relativité généralisée, la théorie
des Quanta, la mécanique ondulatoire, la décomposition de l'atome de Niels Bohr, les relations
d'incertitude d'Heisenberg ont eu raison des grandes explications du monde physique.
La théorie de
l'attraction universelle de Newton s'est trouvée ainsi faussée.
La théorie corpusculaire de la lumière a
été fondamentalement réfutée, la théorie moléculaire de la matière, qui faisait de l'atome un
insécable, n'a plus de sens.
2.
Bien plus : par-delà la crise des théories physiques, une crise autrement plus grave devait se faire
sentir : le déclin des absolus physico-mathématiques.
L'on pensait, A la fin du siècle dernier, posséder
un grand nombre de vérités premières, entendez fondamentales, au-delà desquelles rien ne saurait
jamais être découvert.
Le fait de dévoiler sous le monde macro-physique une réalité micro-physique,
ou de déchirer le voile de l'astronomie pour y déceler un monde astro-physique qui n'est plus régi par
les mêmes lois, sont autant de scandales pour la science moderne.
La découverte de phénomènes comme celui de la radioactivité, des
infra-sons, des ultra-sons, ou celle d'une chimie où les acides seraient des bases camouflées (comme on est en train de le prouver à
l'heure actuelle : voir Revue Générale des Sciences) sont à l'origine d'un nouvel esprit scientifique qui se traduit par une philosophie du
non.
La chimie est maintenant non-lavoisienne, la physique non-newtonienne, la géométrie non-euclidienne, la mécanique noncartésienne, etc.
Rien ne tient plus.
3.
D'où le véritable désarroi de la pensée scientifique actuelle.
« Ces flottements, ce désarroi du raisonnement dans la science regardée
comme la plus sûre de toutes, nous montre sur le vif la fragilité de nos certitudes les plus fortes », note avec nostalgie
M.
Armand Denjoy dans son ouvrage sur les Grands Courants de la Pensée Mathématique.
On a pu — M.
Georges Bouligand — écrire tout
un livre sur le Déclin des Absolus mathématico-logiques.
En vérité, tous les principes les plus immuables de la pensée scientifique se sont
vus successivement rétorqués, voire réfutés.
La science actuelle ne postule plus aucun absolu.
Elle est toute imprégnée de ce discontinu
qui marque l'avènement de la physique actuelle.
II.
- LE RÈGNE DES NÉGATIONS
1.
Ainsi, l'on ne peut plus croire aux vérités premières.
Mais s'ensuit-il de là que l'on doive croire à un certain nombre d'erreurs parallèles
? En fait, M.
Bachelard paraît poser en principe la disparition de certaines évidences communes pour mieux affirmer l'inexistence des
principes.
Les seuls certitudes scientifiques actuelles seraient des incertitudes, ou les seuls axiomes des théorèmes négatifs.
Je ne sais
pas ce qui est vrai ; mais je suis sûr de ce qui est faux.
2.
L'erreur première est à cet égard l'ensemble des préjugés empiriques, ou une certaine common sense philosophy, c'est-à-dire les idées
préconçues.
La connaissance scientifique n'est pas toujours vraie.
Mais la connaissance vulgaire est toujours fausse.
Aussi ne pourrait-on
plus faire en passant de l'inférence expérimentale un raisonnement inductif ternaire allant du fait au fait par l'idée.
Au contraire, la science
se livre à une véritable débauche théorique et ne saurait partir de l'expérience.
L'erreur première, c'est l'observation élémentaire, l'analyse
directe, la connaissance irrationnelle.
Seul le rationalisme conduira à une certitude, relative d'ailleurs, car il ne peut être au XXe siècle
qu'appliqué.
3.
Entre les différentes géométries, celle de Bolyai ou celle de Gauss, celle de Saccheri, l'on peut hésiter avant de savoir laquelle est la
plus vraie ; mais il y a bien une chose certaine, c'est que Poincaré énonçait une erreur en formulant son principe : «La géométrie
euclidienne est la plus vraie parce qu'elle est la plus commode.
» De fait, on est sûr que la notion la plus évidente, la plus communément
admise est de beaucoup la plus fausse.
L'objet des sens est une erreur fondamentale justifiée par cette évidence même : « L'obligation
d'admettre, disait Gonseth, est bien la conséquence de cette impuissance.
à justifier.» Les postulats du bon sens sont autant d'erreurs
premières.
III.
- L'IMPUISSANCE ÉPISTÉMOLOGIQUE
1.
La science actuelle ne se fonde finalement pas plus sur des vérités que sur des erreurs premières.
Elle renonce à montrer la primarité.
Elle rejette tout emploi de la métaphysique en tant que « science des premiers principes et des premières causes », non pas par refus de
philosopher, mais par défiance à l'égard de soi-disant fondements.
Le sujet du refus fondamental est la caractéristique essentielle de
l'épistémologie moderne.
2.
Cela tient essentiellement à la logique non-aristotélicienne : l'on ne croit plus aux règles sacro-saintes du raisonnement syllogistique.
Le principe du déterminisme a fait place à une croyance relative à la haute probabilité d'un phénomène (cf.
Eddington).
Les principes de
non-contradiction, du tiers exclu sont éliminés des logiques polyvalentes au même titre que les principes de causalité ou de raison
suffisante.
Un même fait peut être vrai et faux en même temps, comme Brouwer ou Gonseth l'ont fortement démontré.
La logistique a
ruiné la logique.
3.
Ainsi la Science en est réduite à intrapoler et à extrapoler.
Le savant conjecture, suppose, suppute : mais il n'affirme plus.
Louis de
Broglie dans le n° de la R.M.M.
consacré à la Métaphysique (juin 1947) déclarait que « nous sommes placés au centre d'une sombre et
impénétrable forêt.
Peu à peu, nous avons défriché un peu de terrain autour de nous et créé ainsi une petite clairière.
D'après ce que
nous voyons, nous cherchons à deviner ce qui se cache au-delà de l'orée mystérieuse de la forêt ».
CONCLUSION.
- Il faut donc conclure à l'impossibilité pour la science actuelle de croire à un absolu, vrai ou faux.
Rien n'est absolument
impossible, si tout apparaît comme également improbable.
Il n'est pas certain que l'arithmétique dise vrai.
L'algèbre est une convention.
La géométrie est une conjecture.
Mais la science entière n'apporte plus à l'épistémologiste du XXe siècle qu'un immense nuage
d'indétermination..
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