Il faut parier. Blaise Pascal
Extrait du document
«
Il faut parier.
Blaise Pascal
Pascal (1623-1662), qui se proposait d'écrire une apologie (c'est-à-dire une défense) du christianisme, ne put mener son projet à terme.
Il laissa donc à
sa mort une masse de textes plus ou moins classés et plus ou moins élaborés.
A côté de notes brèves jetées sur le papier figurent des développements qui
ont déjà fait l'objet d'une mise au point.
Ces papiers furent classés par ses héritiers et publiés dans ce qui constitue « l'édition de Port-Royal » des Pensées.
A partir du XIXe siècle, plusieurs
spécialistes proposèrent des éditions plus rigoureuses des Pensées, chacun d'entre eux procédant à son propre classement.
La partie relativement longue intitulée « Infini-Rien » correspond à ce que l'on appelle communément « le pari de Pascal ».
Elle est vraiment restée à l'état
de brouillon, ce qui ne facilite pas le travail des commentateurs.
Au début de ce fragment, Pascal admet qu'il est difficile à un chrétien de prouver que la croyance en Dieu s'impose.
Les chrétiens ne peuvent « rendre
raison de leur créance» (croyance), c'est-à-dire qu'ils ne peuvent, par une démonstration, montrer qu'ils ont raison de croire.
Cette incapacité ne gêne
nullement Pascal qui la trouve même normale.
Elle lui permet d'ailleurs de partir d'une vraie table rase, d'un stade zéro de l'argumentation.
« Examinons donc ce point, et disons : "Dieu est, ou il n'est pas." Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n'y peut rien déterminer : il y a un chaos
infini qui nous sépare.
Il se joue un jeu, à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile.
Que gagerez-vous ? »
Dans ces quelques lignes, le mot « gager » signifie « parier » et l'expression « croix ou pile » correspond à notre « pile ou face ».
Pascal, qui a inventé le
calcul des probabilités, est en pays de connaissance.
L'interlocuteur supposé évoquant la possibilité de ne point parier, de ne point jouer à ce jeu de pile ou face, Pascal lui démontre alors qu'il n'a pas vraiment
le choix.
Il est obligé de se déterminer en ce qui concerne l'existence de Dieu.
« Oui, mais il faut parier.
Cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué.
Lequel prendrez-vous donc ? Voyons.
Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous
intéresse le moins.
[...] Pesons le gain et la perte, en en prenant croix que Dieu est.
Estimons les deux cas : si vous gagnez, vous avez tout ; si vous perdez,
vous ne perdez rien.
Gagez donc qu'il est, sans hésiter.
»
Le recours à l'argument du pari, dans le domaine de l'apologétique, n'était pas nouveau.
Dans Pascal et ses précurseurs (Nouvelles Éditions latines, 1954),
Julien-Eymard d'Angers recense dix théologiens qui ont, sous des formes diverses, utilisé cet argument.
Mais Pascal va, lui, donner une force et une
signification nouvelles, faisant par là oublier ses prédécesseurs.
Si l'on s'en tient au simple raisonnement, cet argument du pari a évidemment quelque chose d'un peu dérisoire.
Les penseurs qui suivront ne manqueront
pas de le souligner.
Voltaire écrit, par exemple, dans les Lettres philosophiques:
« Il est évidemment faux de dire : Ne point parier que Dieu est, c'est parier qu'il n'est pas ; car celui qui doute et demande à s'éclairer ne parie assurément
ni pour ni contre.
D'ailleurs cet article paraît un peu indécent et puéril ; cette idée de jeu, de perte et de gain, ne convient point à la gravité du sujet.
De plus, l'intérêt que j'ai à croire une chose n'est pas une preuve de l'existence à cette chose.
Votre raisonnement ne servirait qu'à faire des athées, si la voix de toute la nature ne nous criait qu'il y a un Dieu, avec autant de force que ces subtilités
ont de faiblesse.
»
Cependant, l'examen de l'ensemble du développement s'y rapportant permet de mieux comprendre le rôle du pari dans l'entreprise de Pascal.
Le point de
départ ressemble bien à un marchandage.
Vous misez quelque chose de fini (votre vie sur terre) en vue d'un gain infini (le bonheur éternel en Dieu après la
mort).
Comme son interlocuteur peut lui faire remarquer que cette vie terrestre n'est pas rien, Pascal attire son attention sur le fait qu'il ne perd pas cette
vie en pariant sur Dieu, au contraire :
« Or quel mal vous arrivera-t-il en prenant ce parti ? Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, ami sincère, véritable.
A la vérité, vous
ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices ; mais n'en aurez-vous point d'autre ? Je vous dis que vous y gagnerez dans cette
vie...
»
Mais, là encore, nous restons dans le domaine de la démonstration.
Or Pascal sait qu'une foi qui ne repose que sur le raisonnement est faible.
Par
l'argument du pari, il veut aller au-delà de la simple démonstration et s'en prendre à la volonté de l'athée auquel il s'adresse.
Celui-ci mettant en avant son
incapacité à croire, Pascal rétorque :
« Mais apprenez au moins que votre impuissance à croire, puisque la raison vous y porte, et que néanmoins vous ne le pouvez, vient de vos passions.
Travaillez donc, non pas à vous convaincre par l'augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions.
Vous voulez aller à la foi, et
vous n'en savez pas le chemin ; vous voulez guérir de l'infidélité, et vous en demandez les remèdes : apprenez de ceux qui ont été liés comme vous, et qui
parient maintenant tout leur bien ; ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre, et guéris d'un mal dont vous voulez guérir.
Suivez la
manière par où ils ont commencé : c'est en faisant tout comme s'ils croyaient, en prenant de l'eau bénite, en faisant dire des messes, etc.
Naturellement
même cela vous fera croire et vous abêtira.
»
Le paria donc pour but de vaincre une défense, de provoquer un premier abandon, après quoi le patient se mettra dans un état de réceptivité.
Cet état
permettra à la foi d'entrer en lui d'une manière profonde et durable.
Le pari n'a donc pas pour but immédiat d'amener à la foi, mais seulement au désir de la
foi.
Cet argument du pari était-il central dans l'apologie de Pascal ou n'était-il qu'un élément tout à fait accessoire ? Les critiques ne s'accordent pas sur ce
point.
Tel spécialiste estime qu'il n'était même pas destiné à figurer dans la version définitive de l'apologie alors que tel autre pense qu'il devait en
constituer l'élément fondamental.
Impossible de trancher puisque, involontairement, les Pensées se présentent comme une « oeuvre ouverte ».
Il faut simplement, quand on aborde cette question, garder à l'esprit le fait qu'il ne s'agit pas de textes publiés avec l'aval de l'auteur, mais simplement de
brouillons.
Ir n'est donc pas très honnête d'attaquer Pascal à propos de textes qu'il n'aurait peut-être pas jugé bon de porter à la connaissance du public.
Curieusement, et dans une perspective toute laïque, nous sommes confrontés aujourd'hui à un problème du même ordre pour ce qui est de l'avenir de
l'humanité.
»
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