Hume: Connaître, est-ce cesser de croire ?
Extrait du document
L'idée d'un objet est une partie essentielle de la croyance qu'on
lui accorde, mais ce n'en est pas le tout. Nous concevons de
nombreuses choses auxquelles nous ne croyons pas. Afin donc de
découvrir plus complètement la nature de la croyance ou les qualités
des idées auxquelles nous donnons notre assentiment, pesons les
considérations suivantes.
Évidemment tous les raisonnements d'après
les causes ou les effets se terminent par des conclusions qui portent
sur des faits : c'est-à-dire sur l'existence d'objets ou de leurs
qualités. Évidemment aussi l'idée d'existence ne diffère en rien de
l'idée d'un objet ; quand, après la simple conception d'un objet,
nous voulons le concevoir comme existant, nous ne faisons en réalité
aucune addition, ni aucune modification à notre première idée. Ainsi,
quand nous affirmons l'existence de Dieu, nous formons simplement
l'idée d'un être tel qu'on nous le représente : l'existence, que
nous lui attribuons, ne se conçoit pas par une idée particulière que
nous joignons à l'idée de ses autres qualités et que nous pouvons à
l'occasion séparer et distinguer de celles-ci. Mais je vais plus loin
; non content d'affirmer que la conception de l'existence d'un objet
n'ajoute rien à la simple conception de l'objet, je soutiens
également que la croyance en son existence ne joint aucune nouvelle
idée à celles qui composent l'idée de l'objet.[...]
Cette
opération de l'esprit qui produit la croyance à un fait, a été
jusqu'ici, semble-t-il, l'un des plus grands mystères de la
philosophie ; personne toutefois n'a été jusqu'à soupçonner qu'il y
avait quelque difficulté à l'expliquer. Pour ma part, je dois
l'avouer, j'y trouve une difficulté considérable ; même quand je
pense comprendre parfaitement le sujet, je suis à la recherche de
thèmes pour exprimer ce que je veux dire. Je conclus par une induction
qui me paraît tout à fait évidente qu'une opinion ou une croyance
n'est rien d'autre qu'une idée, qu'elle diffère d'une fiction non
pas en nature ou par l'ordre de ses parties, mais par la manière dont
elle est conçue. Mais quand je veux expliquer cette manière, je trouve
difficilement un mot qui réponde pleinement au fait et je suis obligé
de recourir au sentiment de chacun pour donner une conception parfaite
de cette opération de l'esprit. Une idée à laquelle on acquiesce, se
sent autrement qu'une idée fictive que nous présente la seule
fantaisie : et cette différence de sentiment, je tente de l'expliquer
en l'appelant supériorité de force, de vivacité, de consistance, de
fermeté ou de stabilité. Cette variété de termes, qui peut paraître
assez peu philosophique, je l'emploie à dessein pour traduire
uniquement cet acte de l'esprit qui nous rend les réalités plus
présentes que les fictions, leur donne plus de poids dans la pensée et
leur assure plus d'action sur les passions et l'imagination.
Liens utiles
- Savoir est-ce cesser de croire ?
- Hume, La raison ne peut pas connaître de relations de cause à effet
- Faut-il opposer croire et connaître ?
- Penser, connaître, croire
- Connaître le monde viking