HOBBES: Mais qu'est-ce qu'une bonne loi?
Extrait du document
«
« Mais qu'est-ce qu'une bonne loi? Par bonne loi, je n'entends pas une loi
juste, car aucune loi ne peut être injuste.
La loi est faite par le pouvoir
souverain, et tout ce qui est fait par ce pouvoir est cautionné et reconnu
pour sien par chaque membre du peuple: et ce que chacun veut ne saurait
être dit injuste par personne.
Il en est des lois de la République comme
des lois des jeux: ce sur quoi les joueurs se sont accordés n'est pour
aucun d'eux une injustice.
Une bonne loi se caractérise par le fait qu'elle
est, en même temps nécessaire au bien du peuple, et claire.
En effet, le rôle des lois, qui ne sont que des règles revêtues d'une
autorité, n'est pas d'entraver toute action volontaire, mais seulement de
diriger et de contenir les mouvements des gens, de manière à éviter
qu'emportés par l'impétuosité de leurs désirs, leur précipitation ou leur
manque de discernement, ils ne se fassent du mal: ce sont comme des
haies disposées non pour arrêter les voyageurs, mais pour les maintenir
sur le chemin.
C'est pourquoi si une loi n'est pas nécessaire, et que la
vraie fin de toute loi lui fasse donc défaut, elle n'est pas bonne.» HOBBES
Introduction
La justice est souvent invoquée pour modérer les excès possibles de toute
autorité.
Elle apparaît donc comme une valeur transcendante permettant de juger l'action politique.
Une loi peut ainsi
être remise en question et qualifiée d'injuste, dès lors qu'elle contredit les principes de la justice.
Or dans ce texte, Hobbes pose la question de savoir ce qu'est une bonne loi, et entend réfuter la prétention de la
justice à valoir comme critère d'appréciation des lois.
Mais le problème est le suivant: si l'on ne peut se référer à
l'exigence de justice pour éviter les excès de pouvoir, comment se garantir de ces excès? Après sa réfutation, Hobbes
expose un autre critère d'appréciation.
Reste à montrer en quoi le critère proposé assure la légitimité des décisions du
pouvoir souverain.
1.
La justice n'est pas un critère d'évaluation des lois
A.
Toute loi est juste
En posant d'emblée la question de savoir ce qu'est une bonne loi, Hobbes pose le problème du critère d'évaluation du
droit.
Il rejette d'emblée le critère qui pouvait paraître le plus évident, celui de la justice.
Il y a un aspect polémique
dans l'affirmation de Hobbes: «Une bonne loi n'est pas une loi juste»; mais la suite du texte explicite cette position.
Le
rejet de ce critère ne signifie pas l'apologie de l'injustice.
Au contraire, Hobbes affirme que toute loi est nécessairement
juste: la double négation utilisée («aucune...
ne peut...») signale en effet cette nécessité.
Autrement dit, il ne s'agit
pas de préférer l'injustice à la justice, mais de signaler l'insuffisance et l'inefficacité d'un critère comme la justice.
Comment comprendre cette affirmation? La dimension polémique du texte semble toujours aussi grande: car les
exemples de lois réputées injustes ne manquent pas dans l'histoire, et une telle affirmation permettrait de cautionner
toute loi, quelle qu'elle soit.
Car Hobbes identifie bien ici la légalité et la légitimité.
Hobbes explicite ainsi sa position:
toute loi est juste, en tant qu'elle est le fait de la décision du pouvoir souverain.
Le pouvoir souverain désigne l'autorité
suprême, source de toute légalité.
Mais qu'est-ce qui empêche le souverain de promulguer des lois injustes? La suite de la phrase l'indique: le souverain
ne peut être injuste parce que ses décisions peuvent se confondre avec la volonté de chaque membre de l'État.
Le
texte sous-entend ici la notion de représentation: le pouvoir souverain, que ce soit à travers un homme ou une
assemblée, représente la volonté de chaque sujet.
Pour Hobbes, cette représentation assure la conformité entre
décision souveraine et volonté des sujets.
Toute loi est ainsi garantie et soutenue («cautionnée») par les sujets qui
peuvent y reconnaître leur propre volonté: il n'y a donc pas véritablement de distance entre la loi et le sujet: elle a
beau être imposée de l'extérieur à ce dernier, elle correspond à ce qu'il veut.
La suite de la phrase achève le
raisonnement en posant cette conformité comme gage de justice.
L'argument utilisé sous-entend l'absurdité qu'il y
aurait à critiquer une loi comme injuste, alors même que cette loi représente la volonté même de celui qui pourrait la
critiquer.
Toute loi est juste car je ne peux qualifier d'injuste ce que je veux; or la loi représente ma volonté.
Ainsi donc, pour Hobbes, l'affirmation selon laquelle la loi est nécessairement juste implique que l'on s'accorde sur ce
qu'est une loi: une loi est juste en tant qu'elle est une décision du souverain qui représente la volonté de chaque
sujet.
B.
Les présupposés de l'argumentation
L'argumentation de Hobbes implique deux présupposés non questionnés.
Les arguments avancés sont en effet tous
deux introduits par un «et» qui a une valeur de consécution; mais ces liens de consécution sont simplement posés
sans être fondés.
Le premier présupposé concerne ainsi la conformité entre décision souveraine et volonté des sujets.
Pour assurer cette conformité, il faudrait fixer les conditions de possibilité de la représentation; montrer pourquoi et
comment la décision souveraine représente nécessairement la volonté de chaque sujet.
L'autre présupposé concerne le
lien entre volonté et justice.
Il faudrait ici fixer les conditions de possibilités de ce lien.
Certes, il semble absurde qu'un
même sujet qualifie d'injuste ce qu'il veut lui-même.
Mais le fait qu'il ne puisse pas «qualifier» sa volonté d'injuste
suffit-il à assurer que cette volonté «est» juste?.
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