Hobbes: La vérité est-elle prisonnière du langage ?
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Car vrai et faux sont des attributs de la parole, et non
des choses. Là où il n'est point de parole, il n'y a ni vérité ni
fausseté. Il peut y avoir erreur, comme lorsqu'on attend ce qui
n'arrivera pas ou qu'on suppose ce qui n'est pas arrivé : mais ni
dans un cas ni dans l'autre on ne peut vous reprocher de manquer à la
vérité. Puisque la vérité consiste à ordonner correctement les
dénominations employées dans nos affirmations, un homme qui cherche
l'exacte vérité doit se rappeler ce que représente chaque dénomination
dont il use, et la placer en conséquence : autrement, il se trouvera
empêtré dans les mots comme un oiseau dans des gluaux ; et plus il se
débattra, plus il sera englué. C'est pourquoi en géométrie, qui est la
seule science que jusqu'ici il ait plu à Dieu d'octroyer à
l'humanité, on commence par établir la signification des mots
employés, opération qu'on appelle définitions, et on place ces
définitions au début du calcul.
On voit par là combien il est
nécessaire à quiconque aspire à une connaissance vraie d'examiner les
définitions des auteurs qui l'ont précédé, de les corriger
lorsqu'elles sont rédigées avec négligence, ou bien de les composer
par lui-même. Car les erreurs de définition se multiplient d'elles-
mêmes à mesure que le calcul avance, et elles conduisent les hommes à
des absurdités qu'ils finissent par apercevoir, mais dont ils ne
peuvent se libérer qu'en recommençant tout le calcul à partir du
début, où se trouve le fondement de leurs erreurs. De là vient que ceux
qui se fient aux livres font comme ceux qui additionnent beaucoup de
totaux partiels en un total plus général sans considérer que ces totaux
partiels ont été bien calculés ou non ; trouvant finalement une erreur
manifeste, et ne suspectant pas leurs premiers fondements, ils ne
savent pas comment s'en sortir : ils passent leur temps à voleter à
travers leurs livres, comme des oiseaux qui, entrés par la cheminée, se
trouvent enfermés dans une pièce et volettent vers la lumière trompeuse
des carreaux de la fenêtre, n'ayant pas assez d'esprit pour
considérer par où ils sont entrés. [...]
Car les mots sont les
jetons des sages, qui ne s'en servent que pour calculer, mais ils sont
la monnaie des sots, qui les estiment en vertu de l'autorité d'un
Aristote, d'un Cicéron, d'un saint Thomas, ou de quelque autre
docteur, qui, en dehors du fait d'être un homme, n'est pas autrement
qualifié.
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