Hobbes: désir et valeurs
Extrait du document
«
La constitution du corps d'un homme étant dans un changement perpétuel, il est impossible que toutes les mêmes
choses lui causent toujours les mêmes appétits et les mêmes aversions : il est encore bien moins possible à tous les
hommes de s'accorder sur le désir d'un seul et même objet, quel qu'il soit (ou peu s'en faut).
Mais l'objet, quel qu'il soit, de l'appétit ou du désir d'un homme, est ce que, pour sa part, celui-ci appelle bon ; et il
appelle mauvais l'objet de sa haine et de son aversion, sans valeur et négligeable l'objet de son dédain.
En effet, ces
mots de bon, de mauvais et de digne de dédain s'entendent toujours par rapport à la personne qui les emploie ; car il
n'existe rien qui soit tel, simplement et absolument ; ni aucune règle commune du bon et du mauvais qui puisse être
empruntée à la nature des objets eux-mêmes ; cette règle vient de la personne de chacun, là où il n'existe pas de
République, et, dans une République, de la personne qui représente celle-ci ; ou encore d'un arbitre ou d'un juge, que des
hommes en désaccord s'entendent pour instituer, faisant de sa sentence la règle du bon et du mauvais.
HOBBES
Introduction
• Les valeurs (le bon et le mauvais, le bien et le mal) doivent-elles être considérées comme absolues ? Elles le seraient
peut-être si elles appartenaient aux objets qui les incarnent à nos yeux et avaient ainsi une origine naturelle.
Si l'on
admet au contraire, comme le fait ici Hobbes, que la valeur dépend d'un sujet, on est obligé de reconnaître qu'elle est
variable ou instable.
C omment dans ce cas déceler un bien ou un mal qui puisse être reconnu par tous ?
I.
Variabilité du désir
• Le texte part d'un constat relevant de la physiologie : dans la mesure où le corps individuel ne cesse de changer, ses désirs changent aussi.
Si j'ai faim, je
désire ce fruit.
si j'ai déjà trop mangé, le même fruit me répugne, ou au minimum m'indiffère.
Point de départ rigoureusement empiriste.
• Si l'on considère l'ensemble des individus, comme chacun expérimente dés relations variables avec le même objet en fonction de ses dispositions du
moment, on est amené à reconnaître qu'il est rigoureusement impossible que les hommes désirent la même chose.
II.
Les valeurs sont subjectives
• C omment donc définir le bon et le mauvais ? On commence par les analyser du point de vue de chacun.
On peut ainsi affirmer que le bon, le mauvais et le
négligeable (l'indifférent) ne se manifestent qu'en fonction de l'appétit ou de l'aversion : chacun utilise ces qualificatifs en fonction de sa propre relation aux
objets.
• C onséquence : il n'y a pas de valeurs « en soi » (on est ici dans un anti-platonisme complet — qui prend sa source dans le point de départ physiologique.
C'est d'une certaine façon un retour à Protagoras : le sujet individuel est « la mesure de toute chose »).
• Comme le bon et le mauvais ne sont pas inscrits dans les objets en fonction des circonstances, leur instauration collective ne peut être qu'artificielle,
c'est-à-dire conventionnelle ou « culturelle ».
III.
Trois décisions fixent les valeurs
• Tant que l'homme ne vit pas en société, il décide lui-même de ce qui est bon ou mauvais (mais dès lors se pose le problème de la contradiction prévisible
entre les choix).
• Dans la République (c'est-à-dire dans la société constituée en État : là où précisément l'harmonisation est nécessaire entre les décisions individuelles
pour établir la paix sociale), c'est le « représentant » de la République, donc le détenteur du pouvoir, qui définit la « règle commune du bon et du mauvais »
que tous devront ensuite respecter.
Dans ce cas, la variabilité peut se retrouver entre différentes Républiques...
• Le troisième cas est plus flou : il concerne « des hommes en désaccord » (à nouveau dans leur situation initiale).
Ils doivent instituer un juge ou un arbitre
et c'est la sentence qu'il énoncera qui définira le bon ou le mauvais.
Deux interprétations possibles
— passage de l'état originel à l'état social
— situation conflictuelle susceptible d'être traitée en justice (si l'on prend « juge » au sens strict) dans une République.
CONCLUSION
• Hobbes affirme ici un « réalisme » conséquent : en niant l'existence de normes naturelles on s'oblige à les concevoir comme résultant de strictes
conventions.
Ce schéma se retrouve dans tous les domaines : morale, politique, justice, etc.
Mais ce qui n'est pas réglé par cet extrait, c'est la façon de «
choisir » le représentant de vla République ou le juge : si l'idée d'un contrat est sous-entendue, sa nature n'est pas précisée.
HOBBES (Thomas).
Né à Malmesbury en 1588, mort à Hardwick en 1679.
Il fit ses études à Oxford et devint précepteur du jeune comte de Devonshire qui, plus tard, devait lui confier aussi l'éducation de son propre fils.
Il fit deux
longs voyages en Europe, vécut à Paris de 1640 à 1651, y fréquenta le P.
Mersenne, puis rentra en Angleterre.
La C hambre des C ommunes exigea qu'il ne
publiât plus aucun livre, après avoir vivement attaqué Léviathan en 1667.
La fin de la vie de Hobbes fut occupée par des controverses avec les
mathématiciens.
— L'oeuvre de Hobbes est une théorie et une apologie fort logiques du despotisme.
Toutes les substances sont corporelles et la vie est
mouvement.
Le désir, fondement du monde animal, est égoïste et guidé par l'intérêt.
Il n'y a ni amour ni accord possible entre les hommes ; ceux-ci sont
naturellement insociables et méchants.
L'état de nature, c'est la guerre de tous contre tous.
Mai les hommes, qui considèrent que la paix est le plus grand
des biens, confèrent tous leurs droits à un seul souverain.
Ils remplacent l'ordre mécaniste naturel par un ordre mécaniste artificiel, qui leur convient mieux
: c'est l'État.
Le salut de l'État s'identifie avec le salut du souverain.
La souveraineté absolue d'un seul homme crée un déséquilibre qui assure la stabilité.
Le souverain établit les lois et définit la justice, se plaçant ainsi au-dessus d'elles.
Le bien et le mal dépendent de ses décisions ; la vraie religion est celle
qu'il autorise.
A insi, les hommes sont libres et heureux, puisqu'ils peuvent agir à leur gré dans le cadre des lois.
Le souverain absolu n'est pas un tyran
arbitraire le tyran est l'esclave de ses passions, alors que le souverain en est délivré par le caractère absolu de son pouvoir.
C ar les passions résultent de
la finitude humaine.
En somme, le pouvoir du souverain est légitime parce qu'absolu.
La pensée de Hobbes a eu une influence incontestable sur Hegel..
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