HOBBES
Extrait du document
«
La nature a fait les hommes si égaux quant aux facultés du corps et de
l'esprit, que, bien qu'on puisse parfois trouver un homme manifestement
plus fort corporellement, ou d'un esprit plus prompt qu'un autre,
néanmoins, la différence d'un homme avec un autre n'est pas si
importante que quelqu'un puisse de ce fait réclamer pour lui-même un
avantage auquel un autre ne puisse pas prétendre aussi bien que lui ( ...
).
De cette égalité des aptitudes découle une égalité dans l'espoir
d'atteindre nos fins.
C'est pourquoi, si deux hommes désirent la même
chose alors qu'il ne leur est pas possible d'en jouir tous les deux, ils
deviennent ennemis ; et dans leur poursuite de cette fin (qui est,
principalement, leur propre conservation, mais parfois seulement leur
plaisir), chacun s'efforce de détruire et dominer l'autre.
Et de là vient que
là où l'agresseur n’a rien de plus à craindre que la puissance individuelle
d'un autre homme, on peut s'attendre avec vraisemblance, si quelqu'un
plante, sème, bâtit, ou occupe un emplacement commode, à ce que
d'autres arrivent tout équipés, ayant uni leurs forces, pour le déposséder
et lui enlever non seulement le fruit de son travail, mais aussi la vie ou la
liberté.
Et l'agresseur à son tour court le même risque à l'égard d'un
nouvel agresseur.
Ce extrait s'enracine dans la pensée politique de Hobbes en proposant une description d'un état hypothétique qu'est
l'état de nature.
L'auteur a conscience qu'il s'agit là d'une sorte de fiction, mais cette expérience de pensée permet
cependant d'appréhender ce qu'il advient lorsque les relations inter-humaines sont soustraites à l'arbitrage de l'État.
Il
ne faut pas voir ici une sorte de tour de passe-passe intellectuel: Hobbes a connu la guerre civile en Angleterre, ayant
ainsi l'occasion de constater l'importance de la mise en place d'une puissance souveraine puissante pour éviter l'état
de guerre de tous contre tous.
En proposant l'hypothèse d'un état de nature, Hobbes saisit les carences qui frappent
l'espace social, ce qui lui permet par contraposition de penser un état civil qui se prémunit de telles lacunes par
l'intervention étatique.
En somme, ce texte nous met face à une anthropologie évidemment peu flatteuse, qui pense
toujours l'homme comme un être avant tout soucieux de lui-même.
Ce sont les conséquences directes de cette nature
humaine qu'expose le passage suivant, faisant clairement apparaître la nécessité de mettre en place un État afin de
résorber les violences privées décrites.
Il s'agit donc d'être attentif aux descriptions proposées de cet état de nature,
d'en saisir les implications problématiques, afin de comprendre la nécessité de penser un état civil conséquent.
I.
L'homme est un loup pour l'homme
Ce texte nous permet d'appréhender ce qui constitue selon Hobbes les fins les plus propres de la nature humaine.
En
effet, dans l'état qu'est celui de nature, les hommes sont avant tout soucieux de leur propre personne, de leur profit
et de leur sécurité.
Il est essentiel de comprendre dans un premier temps cette coïncidence de l'ensemble des désirs
humains: malgré des apparences superficiellement différentes, les hommes désirent tous la même chose.
Il y a une
identité quant aux objets désirés, une identité qui génère déjà un problème plus profond encore: on ne peut désirer
acquérir quelque chose sans en priver tout à la fois quelqu'un d'autre.
Qu'est-ce que cela signifie? L'objet du désir
humain est toujours différentiel.
En effet, si l'homme désire par exemple générer un certain profit, ce profit même
n'aura plus de sens s'il est partagé par tout le monde.
Il s'agit en somme toujours non simplement de vouloir, mais de
vouloir contre l'autre: si j'acquière un certain pouvoir, ce dernier n'a plus de sens, ou du moins est déprécié, si tout le
monde vient à l'acquérir également.
L'homme ne veut pas simplement quelque chose, il veut toujours et surtout
quelque chose de plus que les autres, il désire toujours que son acquisition se démarque du reste des autres hommes.
Ainsi, le désir n'est véritablement assouvit que s'il apporte quelque chose de plus, s'il possède cette valeur
supplémentaire que les autres n'ont pu acquérir.
On retient donc cette première égalité problématique: les hommes veulent tous la même chose, soit avoir plus que les
autres.
Ceci rend donc impossible la satisfaction de l'ensemble des hommes.
Mais à cette première identité s'en articule
une autre: si les hommes espèrent tous la même chose, ils espèrent également tous y parvenir, de telle sorte que
personne n'abandonne sa propre poursuite.
On saisit ici comment est redoublée l'identité de départ, et l'issue qui sera
évidemment conflictuelle.
Si les hommes veulent tous la même chose, personne n'opérera de concession en vue du
bien-être collectif.
Enfin, une troisième problème surgit, présent dès les premières lignes du texte: « La nature a fait
les hommes si égaux quant aux facultés du corps et de l'esprit, que, bien qu'on puisse parfois trouver un homme
manifestement plus fort corporellement, ou d'un esprit plus prompt qu'un autre, néanmoins, la différence d'un
homme avec un autre n'est pas si importante que quelqu'un puisse de ce fait réclamer pour lui-même un avantage
auquel un autre ne puisse pas prétendre aussi bien que lui ».
En somme, les hommes veulent tous la même chose, ils
désirent tous y parvenir sans concession, et pour terminer, ils ont des moyens à peu près égaux.
Identité de l'objet du
désir, identité de la prétention à y parvenir, et identité des moyens d'action.
La différence entre les hommes, tant du point de vue intellectuel, que de celui de la pure force, est notablement
similaire.
Aucune différence assez importante ne se signale au sein de l'état de nature.
Celui qui réussit à déposséder
quelqu'un, finira à son tour par être dépossédé; celui qui tue, finira aussi par être tué.
Pourquoi s'agit-il là de quelque.
»
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