Histoire, passions et catharsis ?
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La catharsis désigne, chez Aristote, l'effet de purgation obtenu devant un spectacle théâtral imitant la vie et qui permet à l'âme de se distancier de ses émotions violentes. Le terme est emprunté au vocabulaire médical et constitue un moyen de s'éloigner de ses propres désirs, en les voyant présentés sur une scène, afin d'atteindre l'état d'équilibre et de mesure recommandé dans l'éthique aristotélicienne.
L'interprétation de cette notion est complexe, les commentaires sont partagés sur le sens exact à lui accorder. Deux lectures différentes sont en général proposées, l'une peut être qualifiée de moraliste, l'autre de médicinale. Pour la première, Aristote a voulu montrer que la contemplation d'une pièce tragique expurge du spectateur ses mauvais penchants en lui donnant à voir les conséquences terribles du déchaînement passionnel. Pris de sympathie et de pitié pour les malheurs du héros tragique, il comprend dans le même temps à quoi il s'expose s'il laisse son existence se corrompre dans la démesure. Pour la seconde interprétation, la catharsis agit comme un remède. Le sujet parvient, grâce au spectacle tragique, à ressentir une sorte de satisfaction physique en éprouvant, par procuration, des sentiments qui lui sont nuisibles hors d'un théâtre.
Le mot catharsis a été exploité bien plus tard, par la psychanalyse, quand Freud en fit le principe des premières cures analytiques, au cours desquelles le sujet souffrant de désirs ou d'angoisses refoulés pouvait s'en libérer au moyen de la parole.
«
la catharsis historique
Mais cet attachement au passé, cette quête d'identité ne risque-t-elle pas de nous enfermer dans le passé?
Nietzsche dénonçait ainsi, dans les Secondes considérations inactuelles , qu'il peut y avoir un "inconvénient des études
historiques pour la vie".
L'intérêt pour le passé, peut être l'indice d'un refus de la vie.
Un esprit morbide trouve dans un
passé mort une fuite hors de la vie.
D'où l'éloge de l'oubli par Nietzsche, synonyme à ses yeux de "légèreté" et de liberté.
Vérifions : l'intérêt pour le passé peut-il être considéré comme un enfermement?
Voyons ce texte de l'historien Marrou:
La prise de conscience historique réalise une véritable catharsis, une libération de notre inconscient sociologique un peu
analogue à celle que sur le plan psychologique cherche à obtenir la psychanalyse : dans l'un et l'autre cas, nous observons
ce mécanisme, à première vue surprenant, par lequel la connaissance de la cause passée modifie l'effet présent ; dans 1'un
et l'autre cas, l'homme se libère du passé, qui jusque là pesait obscurément sur lui, non par oubli mais par l'effort pour le
retrouver, l'assumer en pleine conscience de manière à l'intégrer.
C'est en ce sens, comme on l'a souvent répété de Goethe
à Dilthey et à Croce, que la connaissance historique libère l'homme du poids de son passé.
Ici encore l'histoire apparaît
comme une pédagogie, le terrain d'exercice et l'instrument de notre liberté.
H.-I.
MARROU, De la connaissance historique, 1954
Que veut dire "catharsis"?
Dans sa Poétique, Aristote se posait la question de savoir pourquoi les hommes éprouvaient du plaisir à assister à une
tragédie, où l'on voit pourtant portées sur la scène les passions humaines dans ce qu'elles ont de plus dévastateur.
Pourquoi éprouve-t-on du plaisir à voir jouer des sentiments que l'on n'aimerait pas éprouver? Sa réponse est que voir ces
sentiments sans les éprouver soi-même effectue une "purge" (catharsis, en grec), on participe aux sentiments des héros,
sans en être soi-même affecté.
On libère par là, en leur donnant satisfaction, ses propres passions, sans en subir les
effets néfastes.
Freud a repris ce terme pour désigner un aspect de la cure de certaines maladies mentales.
Les névroses seraient dans
l'ensemble dues à un sentiment qu'on n'a pas pu extérioriser.
Le sujet refoule un sentiment, il n'en a pas conscience, mais
celui-ci veut revenir à la conscience par des voies détournées, en contournant la censure.
D'où apparition de symptômes
pathologiques, qui ne sont autres que l'expression déguisée d'un sentiment qu'on s'interdit d'éprouver.
Le moyen qu'a
trouvé Freud pour soigner ces maladies consiste à faire opérer par le patient un "transfert" sur la personne du
psychanalyste.
Celui-ci va être le substitut de la personne à qui ce sentiment était destiné.
Exemple classique: un amour
oedipien.
De sorte que cet "affect coincé" va être libéré, "purgé".
Dans ce texte, Marrou fait le rapprochement entre la catharsis psychanalytique et une catharsis proprement historique.
C'est-à-dire que nier son passé, l'oublier, ne nous y fait pas échapper, au contraire, c'est en subir obscurément le poids.
Prenons l'exemple des jeunes allemands nés après la seconde guerre mondiale.
Ils se sentaient l'objet d'une réprobation
générale, d'un sentiment de culpabilité pour les atrocités commises en leur pays au cours de la seconde guerre mondiale,
alors qu'eux-mêmes ne pouvaient en être tenus pour reponsables.
A ce sentiment de culpabilité, on peut réagir de deux manières.
La plus simple est le négationisme: faire comme si rien ne
s'était passé.
Nier le passé, le rejeter dans l'oubli.
Mais c'est encore en subir le poids, mais sans s'en rendre compte.
Le
passé reste actif en eux, les travaille de l'intérieur.
D'où apparition de symptômes inquiétants: renouveau fascisant en
Allemagne.
La deuxième manière, c'est d'essayer de prendre conscience de ce passé, de l'assumer en pleine connaissance de cause.
Ce qui permet, par la claire connaissance qu'on en prend, de se purger, de désamorcer ce qu'il peut avoir de pathogène.
Retenons que oublier le passé, ce n'est pas s'y soustraire, c'est même y être soumis encore plus durement.
Pour oublier
vraiment, il faut d'abord se souvenir.
Ceux qui ne connaissent pas le passé, y vivent encore.
L'intérêt pour l'histoire,
paradoxalement, est donc loin de témoigner d'un intérêt morbide pour ce qui n'est plus.
Ce passé survit en nous,
obscurément.
Et ce n'est qu'en en prenant conscience qu'il est possible de lui échapper.
L'histoire permet donc,
pratiquement, d'échapper au passé.
Autrement dit, ce qu'il y a de remarquable avec l'histoire, c'est qu'elle permet aussi
bien de rapprocher ce qui est loin que d'éloigner ce qui est proche.
CONCLUSION: on voit donc que l'intérêt pour l'histoire est loin d'être l'effet d'une curiosité vaine.
Si l'histoire ne permet pas
de préparer l'avenir (pas de leçon de l'histoire), elle permet tout au moins de se débarrasser du passé pour accueillir
l'avenir avec confiance.
Il y a quelque chose de sérieux à s'intéresser à l'histoire: cela permet d'échapper au passé, de
disposer à nouveau de ce que nous sommes.
Peut-être même d'être meilleurs? Sans doute, l'histoire des hommes est l'histoire de la folie humaine (guerres et
massacres: "l'histoire s'écrit avec le sang des peuples"), mais le seul moyen de donner un sens à ce passé, c'est d'espérer
qu'il permette d'accéder à un avenir meilleur.
Le passé de l'humanité trouvera sa justification dans l'avenir ou n'en aura
pas.
Toute l'ambiguïté du travail de l'historien est là: alors que le passé est ce qu'il est, qu'on ne peut plus rien y changer,
il reste encore à lui donner un sens humain.
L'histoire, en ce sens est à la fois toujours-déjà faite (les faits sont ce qu'ils
sont, on ne peut pas revenir en arrière pour les changer) et infiniment à refaire (à interpréter pour mieux en construire le
sens qui nous échappe à chaque fois)..
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