Héritage de mots, héritage d'idées ?
Extrait du document
«
INTRODUCTION
L'homme naît dans un contexte particulier, sa langue maternelle n'est pas quelque chose qu'il choisit mais elle
s'impose à lui, elle lui est transmise par ses proches.
Il ne crée pas les mots qu'il utilise mais les apprend et s'en sert
afin de s'exprimer, de dire ce qu'il pense, ce qu'il ressent, et afin de communiquer avec les autres.
Les mots sont
difficilement dissociables des idées en tant qu'ils sont le moyen par lequel ces idées sont exprimées, communiquées.
Les mots sont les signes des idées.
Les pensées ont besoin pour être partagées d'être traduites en quelque sorte
par la parole qui est leur médiateur.
Les mots étant inhérents à des idées, la langue dont on hérite, qui nous est
transmise apporte-t-elle avec elle des idées, des pensées, particulières à une époque dont nous serions les
héritiers ? Est-ce que la transmission de mots suppose la transmission d'idées ? Le risque étant une soumission aux
idées dont on hérite.
Or le langage n'est pas figé tout comme la pensée.
Les mots dont nous disposons évoluent
avec le temps, de même que les idées propres à une époque sont dépassées à l'époque suivante.
Mais quel est le
moteur de cette évolution le langage ou la pensée ? Est-ce la pensée qui évoluant modifie le langage ? Ou est-ce
que le langage lui-même peut influencer la pensée ? La question porte donc sur la nature du rapport entre les mots,
le langage, et les idées, la pensée.
Est-ce que les mots sont nécessairement liés à la pensée ou peuvent-ils s'en
libérer ? Est-ce que la pensée peut se passer de langage ? Nous sommes face à deux difficultés : les mots comme
signes portent en eux une signification et sont de ce fait essentiellement liés à une pensée, comment les considérer
détachés de toute signification ? La deuxième difficulté concerne la pensée elle-même qui sans les mots se trouvent
dépourvue d'intermédiaires, de médiateurs, lui permettant de s'exprimer.
Première partie : Le langage est la condition de possibilité de la communication de la pensée.
1.1 L'homme comme animal politique a besoin de communiquer et le langage est le moyen d'exprimer sa pensé
« L'homme est un animal politique plus que n'importe quelle abeille et n'importe quel animal grégaire.
Car,
comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or seul parmi les animaux l'homme a un langage.
Certes la voix
est le signe du douloureux et de l'agréable, aussi la rencontre-t-on chez les animaux ; leur nature, en effet, est
parvenue jusqu'au point d'éprouver la sensation du douloureux et de l'agréable et de se les signifier mutuellement.
Mais le langage existe en vue de manifester l'avantageux et le nuisible, et par suite aussi le juste et l'injuste.
Il n'y a
en effet qu'une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait que seuls ils aient la
perception du bien, du mal, du juste, de l'injuste et des autres (notions de ce genre).
Or avoir de telles notions en
commun c'est ce qui fait une famille et une cité.
» ARISTOTE, Politiques, I 2.
1.2 La pensée reste muette sans les mots, ils sont là pour révéler nos idées.
« Quoique l'homme ait une grande diversité de pensées, qui sont telles que les autres Hommes en peuvent
recueillir aussi bien que lui, beaucoup de plaisir et d'utilité ; elles sont pourtant toutes renfermées dans son esprit,
invisibles et cachées aux autres, et ne sauraient paraître d'elles-mêmes.
Comme on ne saurait jouir des avantages
et des commodités de la Société sans une communication de pensées, il était nécessaire que l'Homme inventât
quelques signes extérieurs et sensibles par lesquels ces idées invisibles dont ses pensées sont composées, pussent
être manifestées aux autres » LOCKE, Essai sur l'entendement humain, III 2.
Transition : Le langage est indissociable de la pensée, les mots sont les signes des idées.
Cependant est-ce
que le langage nous permet d'exprimer toutes nos idées ? L'usage de mots peut être maladroit, les mots utilisés
peuvent être mal interprétés.
L'usage et la réception des mots ne sont pas parfaits, les malentendus sont là pour
souligner les obstacles possibles à une transmission juste de la pensée.
Deuxième partie : La pensée déborde le langage.
2.1 Le pouvoir du langage est limité : le sentiment est indicible.
Le deuxième sens de parler fait
alors défaut : communiquer
« Ainsi chacun de nous a sa manière d'aimer et de haïr, et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité
tout entière.
Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes ; aussi n'a-t-il pu
fixer l'aspect objectif et impersonnel de l'amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l'âme.
Nous jugeons
du talent du romancier à la puissance avec laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait fait descendre,
des sentiments et des idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails qui se juxtaposent, leur
primitive et vivante individualité.
Mais de même qu'on pourra intercaler indéfiniment des points entre deux positions
d'un mobile sans jamais combler l'espace parcouru, ainsi, par cela seul que nous parlons, par cela seul, que nous
associons des idées les unes aux autres et que ces idées se juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à
traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage.
» BERGSON,
Essais sur les données immédiates de la conscience, p123-124.
2.2 La généralité des mots contraste avec la singularité de nos pensées.
Quelque chose résiste à
l'expression..
»
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