Hegel: Y a-t-il des leçons de l'histoire ?
Extrait du document
«
"L'expérience et l'histoire nous enseignent que peuples et gouvernements n'ont jamais rien appris de l'histoire, qu'ils n'ont jamais
agi suivant les maximes qu'on aurait pu en tirer.
Chaque époque, chaque peuple se trouve dans des conditions si particulières,
forme une situation si particulière, que c'est seulement en fonction de cette situation unique qu'il doit se décider : les grands
caractères sont précisément ceux qui, chaque fois, ont trouvé la solution appropriée.
Dans le tumulte des événements du monde,
une maxime générale est d'aussi peu de secours que le souvenir des situations analogues qui ont pu se produire dans le passé, car
un pâle souvenir est sans force dans la tempête qui souffle sur le présent ; il n'a aucun pouvoir sur le monde libre et vivant de
l'actualité."
Georg W.
E Hegel, Leçons sur la philosophie de l'histoire (1837), trad.'.
Gibelin, Vrin
Ce que défend ce texte:
C e texte d'Hegel tient à revenir sur un préjugé admis par le sens commun et qui consiste à dire que l'histoire nous donne des
leçons, que nous pouvons « tirer des leçons de l'histoire ».
Une telle idée suppose que l'histoire puisse nous offrir un enseignement
comparable à celui qu'un physicien tire de la nature quand il établit les lois qui la régissent.
Or, selon Hegel, « l'expérience et l'histoire nous enseignent que peuples et gouvernements n'ont jamais rien appris de l'histoire ».
C 'est là le seul véritable enseignement de l'histoire et il est paradoxal, puisqu'il porte sur sa propre négation.
A utrement dit, l'Histoire nous enseigne qu'elle
ne nous enseigne rien.
Les peuples et leurs gouvernants n'ont, en effet, jamais agi suivant les
règles d'action (ou « maximes ») qu'ils auraient pu tirer des événements du passé, car pour que de telles maximes aient quelque valeur et efficacité, il
faudrait qu'elles soient générales et puissent s'appliquer à toute situation future qui présenterait les mêmes conditions que la situation passée.
Or cela n'est pas possible, car « chaque époque, chaque peuple, se trouve dans des conditions si particulières, forme une situation si particulière, que c'est
seulement en fonction de cette situation unique qu'il doit se décider ».
A insi, c'est la singularité et l'originalité de chaque époque qui empêchent d'opérer des
généralisations, d 'étab lir de prétendues règles ou lo is généra les d'action, c ar les faits historiques sont absolument uniques.
Ce à quoi s'oppose cet extrait:
Hegel s'oppose ici à une certaine manière d'utiliser l'histoire, celle qui consiste à justifier une politique en s'appuyant sur les prétendues leçons du passé.
La thèse selon laquelle de telles leçons existent permettrait pourtant de répondre à la question : comment les grands hommes de l'histoire ont-ils fait pour
réussir les coups d'éclat que celle-ci retient d'eux et qui ont fait leur grandeur ? La réponse ordinaire consistait à affirmer qu'ils ont su tirer parti des leçons
de l'histoire, par une lecture attentive de ses mécanismes et de ses enseignements.
À l'appui de cette réponse, on cite souvent les exemples de personnages historiques qui ont su, dit-on, utiliser les fruits de cet enseignement.
Le prince
Laurent de M édicis, par exemple, régnant sur Florence, en Italie, sut profiter de la clairvoyante analyse que fit M achiavel des mécanismes politiques, dans
on ouvrage Le P rince, au XV` siècle.
En outre, en Europe, à l'époque où Hegel écrit le texte dont est présenté ici un extrait, on admire déjà Napoléon
Bonaparte pour la lucidité de ses décisions, et l'on affirmera bientôt que la réussite de ses conquêtes est en partie liée à la lecture attentive qu'il fit des
exploits
d'A lexandre le Grand et à la manière dont il sut tirer parti des leçons que ceux-ci pouvaient lui fournir.
Mais ces exemples ne sont pas recevables, selon Hegel.
« Les grands caractères » sont ceux qui, à chaque fois, ont trouvé la solution appropriée à un
problème donné, la solution originale à une difficulté nouvelle, création de leur génie et de leur inventivité.
Il faut donc conclure que dans « le tumulte des événements » une maxime générale est, non seulement une illusion, mais même un obstacle.
Elle propose,
en effet, aux hommes politiques qui doivent affronter une crise, des solutions nécessairement inadaptées à la nouveauté de la situation présente.
C ette
maxime paralyse, au contraire, l'action du Génie historique, en l'empêchant d'inventer des solutions nouvelles.
A ussi est-elle « d'aussi peu de secours que le souvenir des situations analogues qui ont pu se produire dans le passé, car un pâle souvenir est sans force
dans la temp ête q ui souffle sur le présent ».
Un tel souvenir n'a do nc pa s plus de pouvoir sur le prés ent q ue ce s prétendues maximes géné rales .
HEGEL (Friedrich-Georg-Wilhelm).
Né à Stuttgart en 1770, mort à Berlin en 1831.
Il fit des études de théologie et de philosophie à T übingen, où il eut pour condisciples Hölderlin et Schelling.
Il fut précepteur à Berne de 1793 à 1796, puis
à Francfort de 1797 à 1800.
En 1801, il devient privat-dozent à l'Université d'Iéna puis, les événements militaires interrompirent son enseigne- ment, et il
rédigea une gazette de province.
En 1808, il fut nommé proviseur et professeur de philosophie au lycée classique de Nuremberg.
D e 1 8 1 6 à 1 8 1 8 , i l
enseigna la philosophie à l'Université de Heidelberg ; enfin.
à Berlin, de 1818 à sa mort.
due à une épidémie de choléra.
Peu de philosophes ont eu une
influence aussi considérable que celle qu'exerça Hegel.
Peu aussi furent plus systématiques dans l'expression de leur pensée.
L'idéalisme hégélien part
d'une conception de la totalité.
Le T out est l'unité des opposés, la non-contradiction.
Mais la réalité est contradictoire, parce qu'elle est vivante, et vice
versa.
L'étude du développement des notions universelles qui déterminent la pensée, constitue la logique.
Réel et rationnel (la réalité est raisonnable et le
raisonnable est réel), être et pensée, se concilient dans l'idée, principe unique et universel.
L'idée, c'est l'unité de l'existence et du concept.
« Nous
réserverons l'expression Idée au concept objectif ou réel, et nous la distinguerons du concept lui-même, et plus encore de la simple représentation.
» Le
développement de l'Idée détermine l'être.
La science étudie ce développement la logique en précise les lois, qui sont la contradiction et la conciliation des
contraires.
Le mouvement de l'idée, qui se traduit par la marche de la pensée, procède par trois étapes successives : la thèse, l'antithèse qui est sa
proposition con- traire, et la synthèse, qui concilie les deux, les dépasse.« La synthèse, qui concilie les opposés, ne les nie pas.» C e mouvement de la
pensée est la dialectique.
Le développement dialectique de l'idée engendre la Nature (qui est le développe- ment du monde réel extérieur à l'idée) et l'Esprit
; il explique l'ordre et la suite nécessaire des choses.
La philosophie de l'Esprit, selon Hegel, se divise en trois parties : l'esprit subjectif (anthropologie,
phénoménologie, psychologie), l'esprit objectif (droit, moralité, moeurs) et l'esprit absolu (art, religion, philosophie).
L'Esprit est l'intériorisation de la
Nature.
On retrouve dans les trois notions d'Idée, de Nature et d'Esprit, le schéma parfait de la dialectique.
L'Idée est la pensée absolue, pure et
immatérielle.
La Nature est sa dissolution, dans l'es- pace et dans le temps.
L'Esprit est le retour de l'absolu sur lui-même ; il devient la pensée existant
pour elle-même.
Hegel définit l'histoire « le développement de l'esprit universel dans le temps ».
L'État représente alors l'idée ; les individus ne sont que les
accidents de sa substance.
Les guerres conduisent à la synthèse, qui est la réalisation de l'idée.
L'histoire a un sens dernier, auquel contribuent le passé et
le présent.
C e qui réussit est bien.
La force est le symbole du droit.
C 'est certainement par sa philosophie de l'histoire —« la philosophie est compréhension
du devenir » — que Hegel a laissé libre cours aux plus diverses interprétations.
L'hégélianisme de droite (représenté de nos jours par M.
H.
Niel) effectue un
retour vers un théisme chrétien traditionnel ; c'est le courant qui se développa surtout en Angleterre, avec Bradley et Boyce.
L'hégélianisme de gauche (que
M.
A .
Kojève représente actuellement) s'est orienté vers l'athéisme.
Il connut une grande faveur en A llemagne et en Russie, avec Feuerbach, Karl Marx et
A .
Herzen.
On peut dire que les chrétiens traditionnels, les athées, les conservateurs, les socialistes, les humanitaristes ou les révolutionnaires se
réclament tous de Hegel..
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