Hegel: Les trois types d'histoire
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Les trois types d'histoire
Hegel a distingué trois formes de l'histoire : l'histoire originale, l'histoire réfléchie et l'histoire philosophique.
L'histoire originale,
dont les fondateurs sont Hérodote et Thucydide, est une description des actions, des événements et des situations par ceux qui les
ont vécus et qui y ont pris part.
C ette histoire est non réflexive du fait de la communauté de culture entre l'historien et les
événements qu'il raconte.
Habité par l'esprit même de l'événement, il n'a pas besoin de le transcender pour le raconter.
C'est au
contraire en transcendant l'actualité de l'historien que l'histoire réfléchie va traiter du passé reculé, comme étant actuel en esprit.
L'histoire réfléchie élabore les matériaux, et ce travail d'élaboration relève d'un esprit distinct de l'esprit du contenu élaboré.
C ette
histoire renonce à la représentation individuelle du réel.
Elle produit de nombreuses abstractions en simplifiant le donné pour ne
retenir que l'essentiel.
L'histoire philosophique enfin s'applique à l'histoire réfléchie, s'efforce de montrer comment l'Idée est la
vérité qui mène les peuples et le monde.
Elle dégage l'Esprit comme volonté raisonnable et nécessaire qui a guidé et qui continue de
guider les événements du monde.
L'histoire universelle
La philosophie de l'histoire montre que "la Raison gouverne le monde, et par conséquent gouverne et a gouverné l'histoire universelle." Tout est subordonné à
cette raison et lui sert d'instrument ou de moyen.
Si les peuples et les individus recherchent d'abord leur bien propre dans leur incessante activité, ils sont —
quoique à leur insu —, les instruments de la Raison.
De toutes les actions humaines, il résulte quelque chose d'autre que ce qu'ils ont conçu, projeté et
accompli.
En réalisant leurs intérêts immédiats, ils servent les intérêts secrets de la Raison, dont on ne pourra connaître le dessein final qu'une fois
accomplie.
L'Esprit est un, mais se manifeste de multiples façons.
Un peuple, une époque, un temps, ne sont que des moments dans la formation de l'esprit :
"L'histoire universelle est la manifestation de la marche graduelle par laquelle l'Esprit connaît et réalise sa vérité." L'histoire est l'histoire des étapes de la
connaissance de l'Esprit qui, en se manifestant, prend conscience de lui-même.
C haque peuple dans l'histoire incarne ainsi un principe de l'Esprit : les
contradictions et les oppositions ne sont donc qu'apparentes et transitoires, car elles visent à des unités plus hautes.
Chaque peuple à un moment donné,
avec son éthique, sa constitution, son art, sa religion, sa science, est une configuration déterminée dans la marche graduelle de l'Esprit dont le destin est de
franchir tous les degrés, jusqu'à atteindre une totale transparence à lui-même.
Il n'y a pas de leçons de l'histoire
On entreprend souvent le travail historique de déchiffrement du passé pour en trouver précisément le "chiffre", à savoir, en tirer une leçon de morale.
L'histoire
des Anciens et des personnages illustres peut nous donner de bons exemples, qui servent utilement à la formation du caractère.
Mais leur vertu exemplaire
s'arrête ici.
La destinée d'un peuple ou d'un Etat, ses intérêts, ses conditions réelles d'existence et leur degré de complexité font que les leçons morales et
édifiantes que l'on peut tirer de l'histoire ne comptent pratiquement pas.
Quand on fait de la morale, on ne fait pas de politique et réciproquement.
Toutes les
conditions, à un moment présent donné, toutes les situations réelles et concrètes sont si particulières, que la décision politique
ne peut se prendre qu'en fonction de "cette" situation et de "ces" conditions.
Le grand homme d'État est précisément celui qui trouve la solution appropriée,
qui ne peut jamais se déduire a priori d'une maxime générale, ni même reproduire des décisions qui ont été prises par le passé.
Les leçons de l'histoire n'ont
aucun pouvoir sur le monde libre et vivant de l'actualité.
Les décisions à prendre ou les solutions à proposer ne peuvent qu'être aussi originales que la
situation présente est unique.
« La Raison gouverne le monde »
Penser philosophiquement l'Histoire ne consiste ni à la reconstruire arbitrairement d'après des catégories conçues par la pensée indépendamment des faits, ni
à la juger moralement, en dénonçant le divorce entre ce qui a été ou ce qui est et ce qui devrait être.
C ar ce que la philosophie apporte à la compréhension de
l'Histoire, c'est l'idée que « La Raison gouverne le monde » : la réalité historique n'est pas extérieure à la pensée, elle en est le produit, la manifestation
objective, le reflet qui lui permet de prendre conscience d'elle-même.
Faire la philosophie de l'Histoire, c'est donc ressaisir en elle l'oeuvre de la Raison,
comprise comme une « puissance infinie » qui se déploie dans le monde pour se réaliser.
C e but de la Raison, qui éclaire le sens de l'Histoire (sa signification
spirituelle et son progrès), ne peut être déterminé que par la raison philosophique, apte à reconnaître l'universel dans ses diverses expressions concrètes.
L'Histoire universelle, lieu de réalisation de l'Esprit
l'homme, être spirituel, ne peut se reconnaître et se réaliser dans le monde de la Nature, qui nie sa liberté : pour devenir lui-même et prendre conscience de ce
qu'il est, il doit renaître dans le monde créé par l'Esprit.
I: Histoire universelle est le processus par lequel celui-ci s'arrache à la Nature pour s'autodéterminer
: il développe ce qu'il contient en germe et se manifeste progressivement à lui-même sa liberté à travers les formes culturelles successives qu'il engendre
(moeurs, institutions, religion, art, philosophie).
Il s'incarne dans des peuples particuliers, qui sont autant d'étapes dans sa quête et conquête de soi, autant
de degrés dans le progrès de la conscience de la liberté : « les Orientaux ont su qu'un seul homme était libre, le monde grec et romain que quelques-uns
étaient libres, tandis que nous savons nous, que tous les hommes sont libres, que l'homme en tant qu'homme est libre ».
La « ruse » de la Raison
C omment la Raison peut-elle s'exprimer et réaliser son but dans l'Histoire, si celle-ci est faite par l'action des hommes, mus par leurs passions et leurs
intérêts particuliers ? En réalité, la Raison ne s'oppose pas à la passion, car « l'universel ne peut se réaliser que par le truchement du particulier ».
En
agissant pour eux-mêmes, les grands hommes servent le but de la Raison, qui les dépasse sans leur être cependant extérieur : ils accomplissent
instinctivement une tâche dont ils saisissent la légitimité et la nécessité, mais sans en comprendre entièrement le sens.
Celui-ci ne se révélera qu'une fois
achevé le développement historique de l'Esprit.
Cette « ruse » par laquelle la Raison se réalise dans et par son contraire, la passion, ne fait pas des hommes
les pantins de l'Esprit : l'Histoire n'est pas l'exécution d'un plan divin caché, mais un processus immanent dont le but est la liberté, qui est la réconciliation
entre l'individu et l'universel..
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