HEGEL: le réel et la raison
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«
En effet, le rationnel qui est synonyme de l'idée, en entrant avec sa réalité dans l'existence extérieure, acquiert
ainsi une richesse infinie de formes, d'apparences et de manifestations, il s'enveloppe comme un noyau d'une
écorce dans laquelle la conscience se loge d'abord mais que le concept pénètre enfin pour découvrir la pulsation
intérieure et la sentir battre même sous l'apparence extérieure.
[...]
Concevoir ce qui est, c'est la tâche de la philosophie, car ce qui est, c'est la raison.
[...] Ce qu'il y a entre la raison
comme esprit conscient de soi, et la raison comme réalité donnée, ce qui sépare la première de la seconde, et
l'empêche d'y trouver sa satisfaction, c'est qu'elle est enchaînée à l'abstraction dont elle ne se libère pas pour
atteindre le concept.
Reconnaître la raison comme la rose dans la croix de la souffrance présente, c'est la vision
rationnelle et médiatrice qui réconcilie avec la réalité [...].
Hegel propose de concevoir la raison, non comme un simple instrument formel et vide, mais comme le
processus effectivement à l'oeuvre dans le devenir historique.
La raison est ainsi à la fois forme (connaissance
conceptuelle) et contenu (essence de la réalité morale et naturelle), de sorte que : « Ce qui est rationnel est
réellement à l'oeuvre et ce qui est réellement à l'oeuvre est rationnel ».
Les Principes de la philosophie du droit se présentent comme « un essai pour concevoir l'État comme quelque
chose de rationnel en soi ».
Hegel estime que la philosophie ne doit pas considérer le présent comme vain, ni
prétendre sauter par-dessus son époque, mais au contraire « que rien n'est plus réel que l'idée, et alors il s'agit de reconnaître dans
l'apparence du temporel et du passager, la substance qui est immanente et l'éternel qui est
présent » (Principes, p.
42).
C'est donc la raison elle-même qui se déploie dans les formes historiques les plus concrètes.
Marx
considèrera cette tentative de réconciliation de la raison avec la réalité effective comme le comble de l'abstraction métaphysique.
Il raille «
cette méthode absolue dont Hegel parle en ces termes :
« La méthode est la force absolue, unique, suprême, infinie, à laquelle aucun objet ne saurait résister; c'est la tendance de la raison à se
reconnaître elle-même en toute chose » (Logique).
Toute chose, poursuit Marx ironiquement, étant réduite à une catégorie logique, et
tout mouvement, tout acte de production à la méthode, il s'ensuit naturellement que tout ensemble de produits et de production, d'objets
et de mouvement, se réduit à une métaphysique appliquée » (Misère de la philosophie, première observation).
Mais la critique de Marx a quelque chose d'une caricature.
La tendance de la raison à se reconnaître elle-même en toute chose n'est selon
Hegel qu'un moment du développement de la réalité.
Hegel retire à la philosophie la prétention d'enseigner comment doit être le monde
: « En tant que pensée du monde, elle apparaît seulement lorsque la réalité a accompli et terminé son processus de formation.
Ce que le
concept enseigne, l'histoire le montre avec la même nécessité : c'est dans la maturité des êtres que l'idéal apparaît en face du réel et
après avoir saisi le même monde dans sa substance, le reconstruit dans la forme d'un empire d'idées » (Principes, p 45).
Dire que l'élément rationnel est à l'oeuvre dans l'histoire, ce n'est pas réduire la contingence à la raison, ni prétendre l'en déduire
totalement.
La réconciliation du réel et du rationnel est l'oeuvre d'un dialogue toujours ouvert, d'une patiente dialectique.
C'est, d'une
façon analogue, dans un dialogue de l'idéal rationnel et du réel expérimental que consistera, pour Bachelard, la démarche du nouvel
esprit scientifique.
HEGEL (Friedrich-Georg-Wilhelm).
Né à Stuttgart en 1770, mort à Berlin en 1831.
Il fit des études de théologie et de philosophie à Tübingen, où il eut pour condisciples Hölderlin et Schelling.
Il fut précepteur à Berne de
1793 à 1796, puis à Francfort de 1797 à 1800.
En 1801, il devient privat-dozent à l'Université d'Iéna puis, les événements militaires
interrompirent son enseigne- ment, et il rédigea une gazette de province.
En 1808, il fut nommé proviseur et professeur de philosophie au
lycée classique de Nuremberg.
De 1816 à 1818, il enseigna la philosophie à l'Université de Heidelberg ; enfin.
à Berlin, de 1818 à sa mort.
due à une épidémie de choléra.
Peu de philosophes ont eu une influence aussi considérable que celle qu'exerça Hegel.
Peu aussi furent
plus systématiques dans l'expression de leur pensée.
L'idéalisme hégélien part d'une conception de la totalité.
Le Tout est l'unité des
opposés, la non-contradiction.
Mais la réalité est contradictoire, parce qu'elle est vivante, et vice versa.
L'étude du développement des
notions universelles qui déterminent la pensée, constitue la logique.
Réel et rationnel (la réalité est raisonnable et le raisonnable est
réel), être et pensée, se concilient dans l'idée, principe unique et universel.
L'idée, c'est l'unité de l'existence et du concept.
« Nous
réserverons l'expression Idée au concept objectif ou réel, et nous la distinguerons du concept lui-même, et plus encore de la simple
représentation.
» Le développement de l'Idée détermine l'être.
La science étudie ce développement la logique en précise les lois, qui sont
la contradiction et la conciliation des contraires.
Le mouvement de l'idée, qui se traduit par la marche de la pensée, procède par trois
étapes successives : la thèse, l'antithèse qui est sa proposition con- traire, et la synthèse, qui concilie les deux, les dépasse.« La
synthèse, qui concilie les opposés, ne les nie pas.» Ce mouvement de la pensée est la dialectique.
Le développement dialectique de
l'idée engendre la Nature (qui est le développe- ment du monde réel extérieur à l'idée) et l'Esprit ; il explique l'ordre et la suite nécessaire
des choses.
La philosophie de l'Esprit, selon Hegel, se divise en trois parties : l'esprit subjectif (anthropologie, phénoménologie,
psychologie), l'esprit objectif (droit, moralité, moeurs) et l'esprit absolu (art, religion, philosophie).
L'Esprit est l'intériorisation de la Nature.
On retrouve dans les trois notions d'Idée, de Nature et d'Esprit, le schéma parfait de la dialectique.
L'Idée est la pensée absolue, pure et
immatérielle.
La Nature est sa dissolution, dans l'es- pace et dans le temps.
L'Esprit est le retour de l'absolu sur lui-même ; il devient la
pensée existant pour elle-même.
Hegel définit l'histoire « le développement de l'esprit universel dans le temps ».
L'État représente alors
l'idée ; les individus ne sont que les accidents de sa substance.
Les guerres conduisent à la synthèse, qui est la réalisation de l'idée.
L'histoire a un sens dernier, auquel contribuent le passé et le présent.
Ce qui réussit est bien.
La force est le symbole du droit.
C'est
certainement par sa philosophie de l'histoire —« la philosophie est compréhension du devenir » — que Hegel a laissé libre cours aux plus
diverses interprétations.
L'hégélianisme de droite (représenté de nos jours par M.
H.
Niel) effectue un retour vers un théisme chrétien
traditionnel ; c'est le courant qui se développa surtout en Angleterre, avec Bradley et Boyce.
L'hégélianisme de gauche (que M.
A.
Kojève
représente actuellement) s'est orienté vers l'athéisme.
Il connut une grande faveur en Allemagne et en Russie, avec Feuerbach, Karl Marx
et A.
Herzen.
On peut dire que les chrétiens traditionnels, les athées, les conservateurs, les socialistes, les humanitaristes ou les
révolutionnaires se réclament tous de Hegel..
»
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