Hegel: La quête de la reconnaissance d'autrui ou la lutte pour la reconnaissance
Extrait du document
«
Pour toute conscience de soi, il y a une autre conscience de soi ; autrement dit,
chaque conscience ne peut avoir l'intuition de soi que dans une autre conscience.
Chacun ne peut se saisir comme conscience que dans la conscience de l'autre où il se
reconnaît d'abord comme identique.
Mon Je est le même que le Je de l'autre.
Mais l'un
n'est pas l'autre : chacun est l'un pour l'autre une présence concrète et objective, et
chacun exige de l'autre d'être reconnu comme conscience de soi, c'est-à-dire comme
conscience autonome et libre.
La conscience ne peut être qu'à la condition d'être
reconnue, mais cette reconnaissance doit être celle de ma propre liberté, de mon
autonomie, une reconnaissance de moi en tant que sujet.
Je ne suis pas une simple
présence concrète, je suis plus que cela.
Afin d'être reconnue comme conscience
libre, chaque conscience doit se représenter pour l'autre, comme "libérée de la réalité
naturelle présente".
Aucune conscience n'est donc immédiatement donnée.
Sans être
reconnue par une autre conscience, ma conscience n'est rien.
Mais pour être
reconnue en son essence, la liberté, elle doit nier son pur être-là immédiat, autrement
dit se transcender.
La lutte des consciences et le rapport asymétrique de la liberté et de la servitude
Le coeur du rapport entre les consciences est le conflit.
Il n'y a pas de coprésence ou de cohabitation possible
sur un mode égal, il y a toujours - du moins potentiellement - un rapport de maîtrise et de servitude.
Chaque
conscience cherche à se manifester face à une autre conscience, comme un être-pour-soi absolu, c'est-à-dire
un être absolument libre, qui préfère la liberté à la vie naturelle présente et donnée.
La conscience serve,
inversement, est la conscience qui préfère la vie à la liberté, et qui renonce par conséquent à s'abstraire, pour la
dépasser, de la réalité sensible.
Tout rapport entre les consciences est par conséquent asymétrique : dans un
rapport vivant entre deux consciences, il y en a toujours une qui préfère la liberté, et nie pour cela ce qui est; et
l'autre qui préfère s'en tenir à la réalité présente qui lui semble essentielle.
La conscience maître choisit la liberté
au péril de sa vie même, et se fait reconnaître comme telle
par l'autre conscience, en usant si besoin est de la force et de la violence, tandis que la conscience serve est la
première qui renonce à la lutte, préférant conserver son existence au prix de sa liberté, de son autonomie et de
sa volonté.
Plutôt servir que mourir, pense le serviteur ; plutôt mourir que perdre ma liberté face à l'autre,
proclame le maître.
La liberté en question dans le rapport des consciences
Il faut observer que la liberté du maître est négative, puisqu'elle consiste simplement dans un mouvement de
négation de la réalité présente.
Elle tire son héroïsme et son courage de l'absence de crainte de la mort.
Elle se
prouve par la force de négation.
Pourtant, la liberté au sens positif serait celle d'une égalité à soi dans l'altérité,
une identité de son soi reconnu dans un autre soi, une liberté présente dans la réalité même.
Le serviteur n'a pas
de soi : son soi est un autre soi, c'est celui du maître, dans lequel il s'aliène, tout en gardant l'intuition que son
soi essentiel est ailleurs, qu'il lui échappe.
Le maître a l'intuition que le Je du serviteur est supprimé, et que sa
propre volonté s'incarne et se conserve dans "son" serviteur.
Craignant son maître, celui-ci n'a pas de volonté
propre : elle est au service de son maître, par le travail et les services qu'il lui rend.
Mais le travail est
précisément ce par quoi le serviteur va s'affranchir de son maître.
Aliéné dans sa volonté et son désir, il réalise
son propre soi par ses oeuvres : il élabore, façonne, transforme la réalité extérieure qui devient son produit, sa
chose, son individualité même.
Le serviteur gagne finalement son indépendance grâce et par devers le maître qui
lui a aliéné l'inessentiel (le désir autonome et la volonté) pour lui laisser l'essentiel : la possibilité de se réaliser par
le travail, et de gagner ainsi à l'égard du monde une indépendance et une autonomie que le maître ne connaît
pas, puisqu'il dépend pour sa part - sa subsistance, l'organisation de la vie matérielle, la prévision des ressources
- du travail, ainsi que de la connaissance et du savoir-faire acquis du serviteur..
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