HEGEL et l'éducation des enfants
Extrait du document
«
À l'école, [...] l'activité de l'enfant commence à acquérir, de façon essentielle et
radicale, une signification sérieuse, à savoir qu'elle n'est plus abandonnée à
l'arbitraire et au hasard, au plaisir et au penchant du moment ; l'enfant apprend à
déterminer son agir d'après un but et d'après des règles, il cesse de valoir à cause
de sa personne, et commence de valoir suivant ce qu'il fait et de s'acquérir du
mérite.
Dans la famille, l'enfant doit agir comme il faut dans le sens de l'obéissance
personnelle et de l'amour; à l'école, il doit se comporter dans le sens du devoir et
d'une loi, et, pour réaliser un ordre universel, simplement formel, faire telle chose
et s'abstenir de telle autre chose qui pourrait bien autrement être permise à
l'individu.
Instruit au sein de la communauté qu'il forme avec plusieurs, il apprend à
tenir compte d'autrui, à faire confiance à d'autres hommes qui lui sont tout d'abord
étrangers et à avoir confiance en lui-même vis-à-vis d'eux, et il s'engage ici dans
la formation et la pratique de vertus sociales.
Introduction
Dans quelle mesure l'école est-elle une institution importante, même en dehors de l'instruction que l'on y reçoit, des
connaissances qu'on y acquiert dans chaque « matière » ? Hegel soutient que l'apprentissage de la règle et du devoir,
vécu en collectivité, est la meilleure préparation possible aux «vertus sociales ».
Pour mettre en évidence cette vertu
spécifique de l'école, Hegel oppose cette dernière au milieu familial et montre ainsi ce que l'enfant reçoit dans chacun
de ces deux univers.
Sans négliger les différences qui séparent l'école prussienne du début du XIXe siècle et le système français d'après mai
1968, nous nous demanderons, tout en élucidant le sens du texte, dans quelle mesure il peut s'appliquer à notre
compréhension de ce qu'est l'école.
Étude ordonnée et intérêt philosophique.
« Les choses sérieuses commencent ! » - telle est souvent la réponse convenue des adultes lorsqu'un enfant annonce
qu'il va rentrer à la « grande école ».
Hegel ne se contente pas de répéter le lieu commun, il en montre le fondement
philosophique.
C'est en effet dans le cadre de l'école que « l'activité de l'enfant commence à acquérir, de façon
essentielle et radicale, une signification sérieuse ».
Pourquoi « de façon essentielle et radicale » ? Sans doute parce
que l'activité de l'enfant pouvait être parfois sérieuse en dehors du cadre scolaire, mais seulement par hasard et pour
un instant.
Les adjectifs employés par Hegel donnent à penser que l'école est le cadre d'une transition profonde et
définitive, celle de l'enfance vers l'âge adulte.
Précisons aussi que Hegel ne dit pas que l'enfant devient sérieux à tout
jamais, ce qui donnerait une image bien grise de l'âge adulte.
C'est son activité qui prend une « signification sérieuse »,
c'est-à-dire qui acquiert une portée effectivement réelle.
Sortant de la phase du jeu où rien n'est pris au sérieux,
l'enfant entre dans l'ère de la responsabilité et du devoir.
La signification du « sérieux » de l'activité scolaire est d'ailleurs précisée a contrario par l'évocation de l'état antérieur,
où l'activité de l'enfant était « abandonnée à l'arbitraire, [...] au plaisir et au penchant du moment ».
Ces termes
évoquent l'absence de continuité, la gratuité du jeu.
Dans le jeu, l'enfant crée en effet à volonté, « arbitrairement », la
nature et les règles de l'univers qu'il se construit, alors qu'il devra apprendre à tenir compte de règles qui ne dépendent
pas de son caprice.
L'enfant pré-scolaire passe d'une activité à l'autre sans souci de continuité, au gré de son bon
plaisir.
Ce type d'activité est certes agréable mais ne possède pas la cohérence du travail par lequel seul l'homme peut
parvenir à humaniser le monde et à parvenir à une réelle conscience de soi.
L'enfant qui joue est encore «inconscient»,
il ne pense pas aux conséquences de ses actes.
Arrivant à l'école, il va découvrir la responsabilité : il entre dans «
l'âge de raison ».
C'est ce que Hegel souligne à la fin de la première phrase : au caractère décousu de l'activité du petit enfant, il
oppose la cohérence et la rationalité de l'activité scolaire : agir « d'après un but et d'après des règles », c'est en effet
la meilleure définition possible de la rationalité.
Dans le jeu, l'enfant fait en effet bien des choses sans trop savoir
pourquoi, au petit bonheur.
Par exemple, il « gribouille » sur du papier.
Arrivant en âge scolaire, l'enfant va apprendre à
se fixer des buts précis, par exemple dessiner une maison, puis écrire des mots, etc.
Se fixer un but, c'est donner un
sens unique à toute une série d'actes coordonnés dans le temps.
De même, suivre des règles c'est non seulement
apprendre l'efficacité, mais aussi rendre possible la coopération, la coordination de plusieurs énergies.
Passage du jeu au sérieux, de l'activité solitaire et gratuite au travail réglé et collectif, l'éducation scolaire se
caractérise enfin par un changement de mode de valeur.
L'enfant « cesse de valoir à cause de sa personne immédiate,
et commence de valoir suivant ce qu'il fait et de s'acquérir du mérite ».
Que recouvrent ces deux façons de « valoir » ?
Valoir, c'est avoir du prix aux yeux de quelqu'un.
« Valoir à cause de sa personne immédiate » c'est simplement être
l'objet de l'affection de ses proches.
Les parents aiment l'enfant simplement comme il est et parce qu'il est ce qu'il est,
immédiatement, sans lui demander de se transformer.
À l'école au contraire, on ne juge pas les personnes mais les
performances l'élève est « bon » ou « mauvais » « suivant ce qu'il fait », ce qui n'implique aucun jugement sur sa
valeur en tant que personne.
La vertu des parents est l'amour, celle des enseignants est la justice.
Cette différence
de perspective peut se traduire par exemple par l'anonymat des copies (on juge alors purement la performance) ou,
historiquement plus proche de Hegel, par le port de l'uniforme (qui gomme les différences sociales entre les familles).
Enfin, l'enfant n'a rien à faire pour « mériter » l'amour de ses parents alors que l'élève doit « s'acquérir du mérite »,
autrement dit faire ses preuves.
Il entre ainsi pour la première fois dans un univers où il ne sera pas jugé « sur sa
bonne tête » mais selon ses performances..
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