HEGEL: art et imitation de la nature
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PRESENTATION de "ESTHETIQUE" DE HEGEL
Publiées à titre posthume en 1832, les Leçons d'esthétique reprennent les cours professés
par Hegel (1770-1831) à l'université de Berlin de 1818 à 1829.
Dans cette introduction,
l'auteur défend le projet d'une philosophie de l'art : « mode de manifestation particulier de
l'esprit » (I, I, 2), l'art doit faire l'objet d'une étude rationnelle, seule à même d'en ressaisir
la signification.
Depuis le milieu du siècle, l'esthétique suscite de nombreux débats portant
sur la définition de son objet : le problème est de savoir si l'idée de beau a un fondement
objectif, auquel cas l'esthétique peut la déterminer rationnellement, ou un fondement
subjectif, auquel cas l'esthétique devient l'analyse du sentiment de plaisir ou du jugement
de goût.
Hegel rompt avec ses prédécesseurs en redéfinissant l'esthétique comme la
science du beau artistique : en comprenant le beau comme une oeuvre de l'esprit qui se
donne une forme sensible pour se révéler à lui-même, il s'agit de réconcilier la sensibilité et
la raison, la subjectivité et l'objectivité.
"Il y a des portraits dont on a dit assez spirituellement qu'ils sont ressemblants jusqu'à la nausée.
D'une
façon générale, la joie que procure une imitation réussie ne peut être qu'une joie toute relative, car dans
l'imitation de la nature, le contenu, la matière sont des données qu'on n'a que la peine d'utiliser.
L'homme
devrait éprouver une joie plus grande en produisant quelque chose qui soit bien de lui, quelque chose qui lui
soit particulier et dont il puisse dire qu'il est sien.
Tout outil technique, un navire par exemple ou, plus
particulièrement, un instrument scientifique doit lui procurer plus de joie, parce que c'est sa propre oeuvre,
et non une imitation.
Le plus mauvais outil technique a plus de valeur ses yeux ; il peut être fier d'avoir
inventé le marteau, le clou, parce que ce sont des inventions originales, et non imitées.
L'homme montre
mieux son habileté dans des productions surgissant de l'esprit qu'en imitant la nature." HEGEL
1) Quelle est l'idée générale du texte ?
2) Expliquez: "des portraits ressemblants jusqu'à la nausée"; "la joie que procure une imitation ne peut être qu'une joie
très relative".
3) Rester fidèle à la nature, est-ce selon vous le but de l'art ?
1.
Quelle est l'idée générale du texte ?
Toute imitation de la nature engendre une joie relative.
C'est dans une production autonome, dans une invention
réelle, au sein d'une création, que l'homme éprouve un sentiment de joie, de plénitude existentielle.
Dès lors, l'invention
technique la plus modeste reflétera la vérité de l'esprit humain et aboutira à davantage de joie et de plénitude qu'une
imitation réussie.
Ce qui signifie ceci : dans l'imitation, l'homme demeure prisonnier et dépendant de l'objet.
Il n'accède pas à la liberté.
Il
est essentiellement déterminé par les objets.
Au contraire, la production technique reflète la liberté de l'esprit dominant
les choses.
C'est quand l'homme se retrouve comme esprit créant le réel qu'il est libre et donc joyeux.
Satisfaire le
besoin de liberté spirituelle, tel est le plus haut point de l'activité humaine.
2.
Expliquez : « des portraits ressemblants jusqu'à la nausée ».
Des portraits ressemblants jusqu'à la nausée ? Il s'agit là de représentations d'une personne tellement proches de
l'original qu'elles produisent en nous le dégoût, une véritable répulsion physique.
D'un côté, ceci est paradoxal : une imitation réussie devrait séduire, apporter une satisfaction.
Mais, de l'autre, nous
savons qu'un portrait vraiment réussi n'est pas forcément une réplique parfaite de l'original.
Il n'en reproduit pas
chaque détail.
Il va à l'unité de l'individualité spirituelle.
Au contraire, un portrait très ressemblant sera, parfois,
insignifiant et vide : il provoque le dégoût, la répulsion.
Alors qu'une esquisse générale traduira l'essentiel, la vie de
l'esprit, la simple fidélité matérielle laisse échapper la vérité du caractère et donc nous dégoûte.
Par exemple, quelle
ressemblance entre un visage façonné par Picasso et un visage réel ? Parfois aucune.
Pourtant, il va droit à la vérité
de la vie.
Quand Picasso rompt avec la représentation réaliste de la forme humaine, il détruit la vraisemblance, mais
non pas la vérité de la personne.
Quand il disloque les parties constitutives du visage, même phénomène.
Au contraire,
un portrait très « ressemblant » s'acharne à reproduire minutieusement les moindres détails de la personne
représentée, de façon à ce que l'apparence de celle-ci soit parfaitement conservée et qu'on ne puisse pas distinguer
les traits de l'original de ceux qui sont fixés dans le tableau.
Nous sommes submergés par ces détails qui, par ailleurs,
enlèvent toute vie au personnage et ne nous offrent qu'une morne représentation : nous rejetons cette précision
morte qui ne nous apporte finalement que du dégoût.
La vraie figure humaine surgit ainsi de la création de formes
pures et non pas d'une « ressemblance-copie », d'une fidélité maniaque à l'objet.
Autre exemple : Matisse.
Avec un trait souple et fluide, avec une simplification totale, il nous en dit plus qu'avec un
portrait qui serait ressemblant jusqu'à la nausée.
Ce qui signifie que le champ pictural est autonome par rapport à la
nature et qu'il ne la redouble pas.
S'il la redouble, alors naissent le dégoût, la nausée..
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