Girard désir mimétique
Publié le 24/12/2024
Extrait du document
«
(Accroche) Lorsque nous observons, par exemple, des enfants à la crèche, nous
constatons qu’une peluche, qui les laissait jusqu’alors tous indifférents, devient
soudainement, dès que l’un d’entre eux se l’approprie, l’objet de toutes les attentions, de
tous les désirs.
Cet exemple semble remettre en cause une idée communément admise :
c’est parce qu’il possèderait certaines qualités qu’un objet serait, en soi, désirable.
(Présentation texte et thème(s)) Dans cet extrait de La Violence et le Sacré, Girard aborde
donc le thème du désir.
Il se propose d’expliquer ce qui conduit l’homme à désirer.
(Thèse expliquée) En effet, pour l’auteur, tout désir est par essence mimétique et, comme
tel, il apparait comme une relation fondamentale à autrui : pour désirer, la présence d’un
modèle semble nécessaire.
Ainsi, avant de porter sur un objet, le désir porte inévitablement
sur un sujet.
(Mise en perspective, thèse opposée, enjeux) Mais, en même temps, cette
relation à l’autre se montre problématique puisqu’elle manifeste une dépendance vis-à-vis du
modèle.
Nous croyons en effet que nos désirs sont singuliers, personnels, propres à nousmêmes, en d’autres termes, qu’ils font ce que nous sommes.
Mais si tout désir n’est que la
copie du désir d’un modèle, voilà notre identité et notre liberté remises en question.
(Problématique) Est-il alors seulement possible de désirer de façon autonome, le désir
mimétique ne trahit-il pas au contraire une véritable aliénation du sujet ?
(Plan) Nous verrons dans un premier temps que le désir témoigne d’un manque ontologique,
que c’est précisément ce manque qui instaure le fonctionnement mimétique, c’est-à-dire
triangulaire, du désir.
Dans un second temps, nous analyserons en quoi cela implique une
imitation certes indispensable mais surtout déstabilisante voire honteuse pour tout sujet
cherchant à se construire.
Pour finir, nous verrons en quoi cela implique aussi que tout
modèle devienne un rival et comment cette rivalité se révèle nécessairement conflictuelle.
Le premier paragraphe permet de poser le problème en confrontant des thèses
opposées.
Il y a un désaccord concernant l'objet du désir est ce dont il témoigne.
Soit un
objet réel est désiré, révélant ce que je suis, mes valeurs etc.
Soit cet objet n’est qu’un
prétexte dissimulant alors un manque d'être fondamental en l'homme.
Ce manque est
ressenti en soi mais aussi et toujours en comparaison avec autrui, avec l’être supposé
d'autrui (l’infériorité de l’imitateur renvoie à la supériorité de l'autre).
On est ici dans le
registre du sentiment, de la sensation, non de la connaissance : l'homme ne sait pas
vraiment ce qu'il désire car il ne sait pas ce qu'est l'être, ce dernier étant mystérieux.
L’être
est d'abord et surtout ressenti comme manque, comme privation, d'où la difficulté voire
l'impossibilité de le saisir de manière positive.
A travers le mythe des androgynes, Platon
faisait déjà référence à ce manque ontologique : l’homme se sent incomplet, inaccompli et
c’est pourquoi il est un être de désir.
L’auteur développe donc sa thèse et décrit ici ce que l’on pourrait nommer une distribution
des rôles.
Par le manque ressenti, par l’incertitude, par sa position de faiblesse, l'imitateur est
en attente.
Il est le demandeur (soumission et dépendance), il attend un signe du modèle
pour que les objets prennent de la valeur, pour que le monde objectif perdre sa neutralité.
Il
espère miraculeusement obtenir l’être qui lui manque par l'acquisition de l'objet désigné par
le modèle.
Girard nous montre ici le fonctionnement triangulaire du désir : un objet ne peut
être désiré de façon immédiate puisqu’il n’est pas désirable en soi.
Seule la médiation du
modèle rend un objet désirable, c'est-à-dire lui donne de la valeur.
Il faut donc bien
remarquer qu’aucun objet n'a de valeur en soi.
Comme chez Spinoza, c'est le désir qui est
créateur de valeur (« On ne désire pas une chose parce qu’elle est bonne, mais c’est
parce que nous la jugeons bonne que nous la désirons.
»).
Initialement donc, le désir
de l’imitateur est sans objet alors que celui du modèle semble porter sur un « objet » concret.
Pour l’imitateur, l'objet désiré par le modèle ne peut-être qu'un objet de valeur, c'est-à-dire
valorisant, puisque le modèle est lui-même un être de valeur, c'est-à-dire valorisé par
l'imitateur.
Il y a bien une idéalisation du modèle d’où l'ironie qui se dégage de l'expression
« plénitude d'être encore plus totale » : comment en effet être plus plein que plein, plus
total que total ?
Quant au modèle, il est donc idéalisé par l'imitateur et c'est pour cela qu'il représente la
référence, l'indicateur, de l’être.
En effet le désir du modèle semble différent : c'est un désir
d'accomplissement, de perfection là où le désir de l'imitateur témoigne d'une détresse, d'un
creux.
Ainsi idéalisé, cristallisé, le modèle ne peut qu’approfondir le manque ressenti par
l'imitateur (« suprêmement désirable»).
Il faut noter ici que le modèle ne se pose pas nécessairement comme tel, il lui suffit d'être,
d'exister, d'agir, pour devenir modèle.
Apparaît alors une caractéristique du désir : il est
porté vers le concret, c'est l'exemple qui fait signe et non un quelconque discours ou
raisonnement.
Par ailleurs, comme dit précédemment, nous sommes ici dans le registre des
apparences, non de la réalité (« se sent privé », « lui paraît pourvu », « semble-t-il ») :
même porté vers le concret, le désir est toujours imagination, idéalisation.
Le second paragraphe, très court, permet à l'auteur de conclure et de formuler sa thèse avec
précision : le désir est par essence mimétique, le mode de fonctionnement du désir est
l’imitation.
Autrui est la condition nécessaire de la manifestation du désir.
Sans l'autre le désir
est sans objet, il ne peut par conséquent même pas s'exprimer comme tel.
Cela nous indique
aussi que la relation à autrui est par essence désir : le désir est une relation, peut-être même
la première, la plus originelle, à l'autre.
Le désir n'est donc pas autonome, c'est toujours un calque, une dépendance totale vis-à-vis
de son modèle.
Si on peut penser que l'imitation est totale, c'est parce que non seulement le
même objet est désiré mais parce qu’aussi le désir modèle est lui-même copié.
Ainsi le désir
adopte sans restriction les valeurs du désir modèle.
Dès lors, comment ne pas admettre
l'aliénation dont il témoigne?
Par ailleurs, le verbe « élire » (« il élit ») signifie communément « choisir » mais, selon le
propos de l’auteur, ce sens n’est pas vraiment pertinent.
« Elire », ici, renvoie au sacré:
l'objet élu, c'est l'objet qui sauve, c'est le miracle qui permet d'être.
Voilà ce que croit
l’imitateur, renforçant encore son l’illusion dont il est la victime.
Si l'auteur reconnaît qu’il n'apporte rien de nouveau quant à la connaissance du désir, il
précise cependant que ce sont les implications d'un tel désir qui n'ont pas été saisies et c’est
ce dont nous allons rendre compte par la suite.
En effet le modèle apparaît donc comme une référence nécessaire mais aussi
problématique car, si le modèle est indispensable, il est aussi aliénant.
Si le désir est
mimétique, il manifeste l’incapacité de l'homme, être de désir, à se faire lui-même en toute
indépendance.
Cependant cette dépendance, cette soumission à l’autre, n'est pas acceptable
puisqu'elle menace l'identité du sujet et dévoile alors sa faiblesse: imiter, c'est en effet
reconnaître le pouvoir de l'autre sur moi, sur ce que je suis, c’est découvrir en soi, et comme
étant soi, l'autre.
D’où cette honte, cette humiliation, et le renversement qui s'opère: pour
masquer sa soumission et prétendre faussement à l'autonomie, il ne reste à l'imitateur qu'à
tenter d'investir le rôle de modèle, ceci afin d'être reconnu et idéalisé par les autres, afin de
se rendre désirable.
En effet, et c’est paradoxal, tout le monde désire être original, tout le
monde souhaite être un modèle…
Pourtant l’imitation de l'enfant n'est pas honteuse.
Il faut alors comprendre que tout dépend
de la proximité du modèle et de sa maturité.
Non seulement l'enfant, qui est un être en
construction, n'éprouve aucune honte à imiter un modèle,....
»
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