Génie et création
Extrait du document
«
On qualifie facilement de génial aujourd'hui ; mais on qualifie plus rarement de génie.
Depuis la Renaissance, le terme de « génie » est
réservé en art à l'homme capable des créations les plus hautes, les plus surhumaines, à la limite du religieux, comme celles du « divin
Michel-Ange » ; au Moyen Âge pourtant, personne d'autre que Dieu n'aurait pu être dit créateur, et le génie était une notion inconnue,
voire impie.
Que désigne-t-elle aujourd'hui ?
1.
L'ARTISTE CRÉATEUR
A - Universalité du génie
Le génie est- il une qualité universelle résidant en tout homme ? Les premiers romantiques allem ands, au début du XIXe siècle, l'ont affirmé :
« Le génie est la condition naturelle de l'homme », qui à la fois le différencie de l'animal et l'ancre dans la naturalité.
Le génie serait un patrimoine naturel, expression la plus universelle et la plus primitive de notre appartenance à la nature.
Plus encore,
l'homme qui a d u génie est celui qui sait se réduire à ce qu'il est de moins individuel : par une emprise directe, la nature universelle
s'exprime par la voix du génie pour l'universalité des hommes, qui se reconnaissent en lui.
La culture et l'éducation s'ajoutant au génie le dissimulent : les hommes qui ont du génie n'ont pas quelque chose de plus que les autres,
mais quelque chose de moins.
S'il est ainsi l'expression de ce qu'il y a d e plus universel dans la nature, l'artiste est pour cette raison
même un être singulier.
B - La singularité du génie
« Fureur divine », le génie est un don inné que quelques personnes seulement reçoivent, au sens où il est ce pouvoir de revenir aux sources de
la création.
A son tour, le génie est créateur à l'image de Dieu : comme s'il prêtait son bras à Dieu, l'artiste s'identifie au pouvoir de
création de la nature.
Parallèlem ent au goût, qui permet de l'apprécier, le génie est la faculté de créer du beau.
De même, s'il n'y a pas de règles du goût, il n'y a
pas de règles du génie : les créations du génie cependant sont d e s m o d è l e s singuliers, pour le goût, du beau.
Si le goût, enfin, est
l'expression de l'intimité la plus personnelle en contemplation, le génie est cette intimité même en action.
L'exaltation de la singularité du génie fut parfois poussée jusqu'à l'idolâtrie : à célébrer le pouvoir de création du génie comme le pouvoir divin
de création, les oeuvres ne sont plus que des témoignages de la vie d'un homme exceptionnel.
2.
L'ARTISTE ET LA TRADITION
A - Technique et métier
Si le génie est d'abord une disposition d'esprit plus ou moins indépendante de l'art dans lequel elle se manifeste, il suppose aussi la m aîtrise
exceptionnelle de cet art en ce qu'il a de plus prosaïque ; le peintre doit savoir composer des sujets, mais aussi broyer des couleurs et
apprêter une toile.
Cette maîtrise suppose un apprentissage, le plus souvent par l'imitation ; traditionnellement élève d'un m aître, le peintre commençait par en
copier les oeuvres.
Le génie est souvent celui qui imite le mieux son maître, et non celui qui s'en distingue ; assimilant sa technique, se
fondant dans son art, le génie efface avec facilité l'originalité de sa personnalité.
L'épreuve de l'apprentissage distingue le génie de l'artiste de second ordre ; alors que le premier sait mettre la technique au service de l'idée
qui l'inspire, le second pose la maîtrise technique au premier plan : le style devient alors manière.
B - Le poids de l'histoire de l'art
L'originalité du génie ne consiste pas en une rupture radicale avec ce qui s'est déjà fait : l'avant-gardisme n'est pas l'expression du génie.
Comparer dans un poème la femme à une rose est bien peu original : le génie qui le fait ne se cantonne pas à cette simple convention,
mais la transfigure.
De même, le génie n'est pas nécessairement fondateur d'un courant artistique : sa singularité peut être telle qu'elle soit au-delà de toute
imitation.
A l'inverse, ce qu'il exprime peut sembler si manifestement ce que le public pense, que son art fait école.
Si l'histoire est faite d'époques, si les époques sont imprégnées d'un certain esprit, le génie artistique est précisément celui qui sait exprimer le
génie de son époque.
Rassemblant dans l'individualité d'une oeuvre qui le figure, le génie sait synthétiser les différents aspects de l'esprit
de son temps ; chacun voit alors dans son oeuvre l'expression de ce qu'il a de plus intime.
Ne pas confondre
Manière et style
La manière d'un auteur est cet ensemble de caractères de son oeuvre qui expriment la contingence et la particularité de sa personne.
Selon la définition de Hegel, s'opposant à manière, le style est cette façon singulière d'exprimer l'universalité de la nature humaine sous
une forme qui est propre à l'artiste.
Définitions
1 Génie : faculté singulière d'exprimer artistiquement, c'est-à-dire sous une forme
sensible individualisée, ce que la nature humaine comporte de plus universel.
1 Avant-gardisme : théorie selon laquelle l'art avance, d'un progrès fait de ruptures avec
la tradition, et dont les auteurs peu nombreux se tiennent loin du grand public.
Quelques textes à lire
Kant (E.), Critique de la faculté de juger, trad.
A.
Philonenko, §§ 46-50, Vrin, 1993, pp.
204-221
Hegel (G.W.F.), Esthétique, trad.
S.
Jankélévitch, Flammarion, 1979, pp.
354-362 Panofsky (E.), L'OEuvre d'art et s e s significations,
Gallimard, 1969, pp.
125-131.
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