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Gaston Bachelard: La science s'oppose-t-elle à l'opinion ?

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La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion. S'il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion ; de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort. L'opinion pense mal; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion: il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit.

« PRESENTATION DE "LA FORMATION DE L'ESPRIT SCIENTIFIQUE" DE BACHELARD Gaston Bachelard (1884-1962), de formation scientifique et philosophique, a profondément renouvelé l'approche de l'histoire des sciences.

La révolution introduite en physique par la théorie de la relativité l'a conduit à critiquer la conception linéaire du progrès scientifique : celui-ci suppose au contraire des ruptures épistémologiques (changement de méthode et de concepts), résultant d'une victoire de l'esprit sur ses propres blocages.

C'est précisément autour de la notion d'« obstacle épistémologique » que s'articule La Formation de l'esprit scientifique.

L'auteur entreprend une « psychanalyse de la connaissance objective », pour rendre à la pensée scientifique son pouvoir d'invention. Quelles sont les conditions psychologiques de la formation de l'esprit scientifique ? La question, qui concerne à la fois l'histoire des sciences et la pédagogie, doit être posée en termes d'obstacles : quelles sont les différentes entraves à la constitution de la science et comment l'esprit peut-il les surmonter ? Cela va permettre de distinguer la démarche propre à l'esprit scientifique de celle de l'esprit préscientifique. La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion.

S'il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion ; de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort.

L'opinion pense mal; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances.

En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître.

On ne peut rien fonder sur l'opinion: il faut d'abord la détruire.

Elle est le premier obstacle à surmonter. L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement.

Avant tout, il faut savoir poser des problèmes.

Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi.

Rien n'est donné.

Tout est construit. Gaston Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1938. Ce que défend ce texte: Un dernier aspect de cette opposition permet à l'auteur d'opérer une distinction capitale qui constitue la thèse véritable de ce texte. L'opinion, nous dit-il, n'envisage les objets sur lesquels elle porte ses jugements que par rapport à l'aspect de leur utilité la plus commune. La pluie n'est pas pour elle un phénomène de condensation complexe qu'il s'agit d'étudier pour lui-même, elle est cette eau qui tombe du ciel et que je ne définis, dans l'opinion, que par rapport à mes propres intérêts : nécessité d'arroser les récoltes, par exemple.

De même, l'eau n'est pas cette molécule que le savant définit par la formule H20.

Elle est, pour l'opinion, cette réalité qui lui permet de boire, de se laver, de faire bouillir grâce à elle des aliments, etc. Pour l'opinion, elle sera surtout cette substance qui nous permet d'étancher notre soif, et notre connaissance de sa réalité intime s'arrêtera au rappel de cette fonction.

Aussi avons-nous ici traduit des «besoins en connaissances», puisque notre connaissance sur l'eau est limitée à ce qu'il nous est seulement utile de savoir à son propos pour nos propres commodités.

Dès lors, «en désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître». Seule la science, étudiant les phénomènes dans toute leur plénitude, nous donnera accès à une connaissance authentique et sans borne.

« Sans borne » ne veut pas dire ici « une connaissance illimitée et jamais achevée ».

Mais bien plutôt un savoir qui ne se réduit pas à ce qui fait, pour nous, l'utilité de tel ou tel phénomène. Bachelard retrouve ainsi l'idée, développée par Auguste Comte, selon laquelle la recherche scientifique est, en son principe, désintéressée.

Cela signifie qu'elle n'est ni conduite, ni limitée par la seule satisfaction des besoins immédiats, à quoi on reconnaît l'utile. Elle est désintéressée parce qu'elle vise à définir les phénomènes naturels indépendamment de la question de savoir si ces derniers peuvent répondre à nos besoins, contrairement à l'opinion, qui ne les appréhende que sous cet angle. Ce à quoi s'oppose cet extrait: Bachelard établit dans ce texte que la science s'oppose à l'opinion.

Contrairement à une idée répandue que Bachelard cherche à réfuter, il ne s'agit pas ici d'une opposition de circonstance, comme lorsqu'une théorie vient contredire ce que l'opinion commune tient pour vrai. C'est une opposition de principe, liée à la nature fondamentale de cette connaissance qu'on appelle la science.

Pour cette dernière, dans tous les cas, «l'opinion a, en droit, toujours tort».

Comment l'auteur peut-il affirmer cela? Pour comprendre cette affirmation, il faut distinguer le fait du droit.

Certes, il peut arriver qu'une opinion «vise juste» dans son appréhension d'un phénomène quelconque, mais cette justesse de fait, qui permet de la «légitimer», ne lui donne malgré tout aucune valeur.

L'opinion est, dans son principe, « antiscientifique », ce qui signifie qu'elle ne repose pas sur un travail critique. Elle s'appuie, en effet, sur des préjugés, des idées reçues, ou une observation première des phénomènes.

L'opinion pense mal, ou plutôt : elle ne pense pas du tout.. »

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