FREUD et la création d'une oeuvre d'art
Extrait du document
«
Tout cela invitait à entreprendre, à partir de là, l'analyse de la création littéraire
et artistique en général.
On s'aperçut que le royaume de l'imagination était une
«réserve» qui avait été ménagée lors du passage, ressenti comme douloureux,
du principe de plaisir au principe de réalité, afin de fournir un substitut à des
satisfactions pulsionnelles auxquelles on avait dû renoncer dans la vie réelle.
A
l'instar du névrosé, l'artiste s'était retiré de la réalité insatisfaisante dans ce
monde imaginaire, mais, à la différence du névrosé, il savait trouver le chemin
qui permettait d'en sortir et de reprendre pied dans la réalité.
Ses créations, les
oeuvres d'art, étaient des satisfactions fantasmatiques de voeux inconscients,
tout comme les rêves, avec lesquels elles avaient également en commun le
caractère de compromis car elles aussi devaient éviter d'entrer en conflit ouvert
avec les puissances du refoulement; mais à la différence des productions du
rêve, asociales et narcissiques, elles étaient conçues pour que d'autres hommes
y participassent, elles pouvaient susciter et satisfaire chez ceux-ci les mêmes
motions de désirs inconscients.
En outre, elles se servaient du plaisir que
procure la perception de la beauté formelle comme d'une « prime de déduction».
L'apport spécifique de la psychanalyse pouvait consister à reconstruire, par
recoupement des impressions vécues, des destinées fortuites et des oeuvres de
l'artiste, sa constitution et les motions pulsionnelles qui étaient à l'oeuvre en
elle, soit ce qu'il y avait en lui d'universellement humain ; c'est dans une telle
intention que j'ai pris par exemple Léonard de Vinci comme objet d'une étude qui
repose sur un seul souvenir d'enfance communiqué par lui-même, et qui vise
pour l'essentiel à expliquer son tableau La Vierge, l'Enfant Jésus et Sainte Anne.
Mes amis et élèves ont ensuite
entrepris un grand nombre d'analyses semblables sur des artistes et leurs oeuvres.
Il n'est point arrivé que le plaisir pris
à l'oeuvre d'art fût gâté par l'intelligence analytique ainsi obtenue.
Mais il faut confesser au profane, qui attend peutêtre ici trop de l'analyse, qu'elle ne jette aucune lumière sur deux problèmes qui sont sans doute ceux qui l'intéressent
le plus.
L'analyse ne peut rien dire qui éclaire le problème du don artistique, de même que la mise au jour des moyens
avec lesquels l'artiste travaille, soit de la technique artistique, ne relève pas de sa compétence.
La création d'une oeuvre d'art, pour Freud, relève en partie de la vie affective et inconsciente.
L'adaptation à la réalité
sociale et la poursuite de buts utilitaires fait passer l'imaginaire au second plan pour la majorité des individus.
L'artiste,
au contraire, met au second plan la réalité commune au profit de l'expression de fantasmes, de pulsions.
Que l'artiste
soit comparé au névrosé ne doit toutefois pas faire penser que l'art s'identifie à une forme de pathologie.
L'imagination n'est pas une fantaisie gratuite qui se développerait en marge de la réalité.
Son existence est rapportée à
l'économie du psychisme : des pulsions l'animent, que l'éducation et la culture transforment.
Mais de cette
transformation peut résulter une souffrance : le névrosé et l'artiste l'expriment chacun à leur manière.
Le
développement de l'imagination chez le second résout d'une façon harmonieuse le problème du renoncement à
certaines satisfactions.
Les pulsions peuvent être pensées comme une énergie, à la frontière du psychique et du biologique, poussant l'individu
à rechercher la satisfaction immédiate de besoins ou de désirs.
Renvoyant aux fonctions vitales et à la sexualité, elles
peuvent connaître d'autres formes, liées à l'histoire personnelle du sujet.
Elles demeurent en tout cas les sources de
l'action, la force qui permet de poursuivre certains buts.
Mais vivre n'est pas seulement rechercher la satisfaction, c'est aussi accepter la réalité extérieure, qu'elle soit
naturelle ou sociale; il faut un équilibre entre le principe de plaisir et le principe de réalité.
En ce sens, le refoulement,
processus inconscient par lequel les pulsions acquièrent une forme compatible avec la réalité, est normal et nécessaire.
Cependant, certains individus ne se satisfont pas de la réalité : c'est le cas du névrosé et de l'artiste.
Faut-il donc
considérer l'artiste comme une sorte de fou, un être du moins anormal ? En fait, le névrosé trouve une satisfaction
paradoxale dans sa maladie car son énergie s'oriente vers sa propre destruction.
En effet, ses symptômes expriment
sous forme de maladie un sens dont la clé se trouve dans l'inconscient de l'individu.
En revanche, l'artiste contourne la réalité dans la création de belles formes, issues de son imagination et de ses désirs,
et, en même temps, il gratifie autrui d'un plaisir.
On peut nommer sublimation cette attitude par laquelle des pulsions
potentiellement destructrices deviennent le moteur de buts élevés.
Si dans un premier temps la création artistique est
bien le palliatif d'une certaine inadaptation à la réalité, il est bien plus juste de considérer que l'art renforce le lien
social, en fournissant à la civilisation l'une de ses plus hautes valeurs.
L'interprétation psychanalytique du tableau de Léonard de Vinci, La Vierge, l'Enfant Jésus et Sainte Anne, a été
donnée par Freud : le choix et la représentation du sujet seraient liés aux effets psychiques d'une particularité
biographique de Léonard.
Mais Freud lui-même nous met en garde contre toute interprétation réductrice des oeuvres
d'art : la psychanalyse n'éclaire la création qu'a posteriori et de manière partielle.
Elle ne rend pas compte de sa valeur
esthétique, et n'explique pas son caractère génial..
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