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Fidélité et sincérité ?

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« Il y a « fidélité » chaque fois que je conforme ma conduite à un engagement et l'homme fidèle, celui qui conserve la « foi jurée », reste constamment dans la ligne fixée d'abord.

La sincérité est, étymologiquement, pureté, absence de mélange (sincerus signifie en latin : non altéré ; sincerus populus : un peuple de race pure).

La pureté de la sincérité c'est une absence de duplicité.

La sincérité c'est l'accord de la conduite et des paroles avec nos sentiments profonds, c'est, dit La Rochefoucauld, « une répugnance à se déguiser », une « ouverture du coeur qui nous montre tels que nous sommes ».

La fidélité et la sincérité sont tenues l'une et l'autre pour grandes vertus.

La question qui nous est posée nous invite à les confronter pour approfondir leurs rapports. Et nous comprenons bien vite l'intérêt de cette confrontation.

Au vrai, les relations dialectiques de la fidélité et de la sincérité semblent nous introduire dans le monde du déchirement et de la tragédie.

La sincérité et la fidélité, telles que nous les avons définies, paraissent à première vue s'exclure radicalement l'une l'autre.

La fidélité est un principe de persévérance, de permanence, d'identité.

Dans la sincérité il y a aussi une identité, l'identité de l'être et du paraître, du sentiment intime et de la conduite extériorisée.

Seulement mon être, pris dans le cours du devenir, n'est-il pas avant tout mobile et fluctuant ? Il faut bien comprendre que le conflit qui se révèle entre sincérité et fidélité se pose surtout à partir des changements introduits dans ma pensée et dans mes sentiments par le temps. Que faire lorsque j'ai changé ? Abandonner pour être sincère la conduite que j'avais d'abord adoptée et qui, maintenant, ne correspond plus à mes voeux les plus intimes et à mes sentiments les plus profonds ? Mais alors je suis un infidèle, un renégat.

Au contraire dois-je continuer à parler et à vivre selon mes serments d'autrefois ? Mais alors je mentirai à moi-même et aux autres.

Ma conduite ne reflétera plus mes sentiments.

Je m'étais inscrit dans l'ardeur de mes vingt ans à un parti politique ; j'avais juré de faire triompher ses idées et de combattre toujours en militant fidèle.

Je m'aperçois aujourd'hui que je n'ai plus les mêmes opinions ; j'ai été déçu, je me suis trompé.

Si j'abandonne ce parti, si je brûle ce que j'avais adoré, mes camarades flétriront mon infidélité et me tiendront pour traître et renégat.

Mais si je continue à servir une cause à laquelle je ne crois plus, cette obstination fidèle ne condamne-t-elle pas mon existence au mensonge et à l'absurdité ? Et ce prêtre qui n'a plus la foi doit-il demeurer dans cette Église qui accueillit naguère sa ferveur ? Sa fidélité n'est plus qu'hypocrisie, mais sa sincérité a quelque chose d'une trahison.

Et que doivent faire ces époux qui se sont autrefois passionnément juré fidélité et qui aujourd'hui ne s'aiment plus ? On voit que les circonstances abondent, dans l'existence concrète, où la double exigence éthique de fidélité et de sincérité apparaît contradictoire. Comme le dit très bien Jankélévitch : "Nous voilà pris dans le dilemme d'une fidélité intemporelle, qui divergeant de plus en plus d'avec notre vérité intérieure devient plus menteuse que l'hypocrisie.

ou d'une sincérité toujours contemporaine de son présent mais dont la rançon est le reniement, le parjure perpétuel. Si la fidélité est immobilité, elle peut nous apparaître comme fausse vertu, vertu de mort.

La sincérité nous condamne au changement mais par là elle est du côté de la spontanéité, du côté de la vie.

Certes la société a tendance à valoriser les conduites de fidélité, elle cherche à garantir contrats et signatures. Mais c'est que l'intérêt du groupe est toujours l'ordre, la stabilité.

Les organismes sociaux sont par vocation conservateurs.

Peut-être la personne a-t-elle le droit de s'arracher à cette sclérose menaçante, et de suivre en leur spontanéité un peu anarchique mais féconde les libres mouvements du coeur et de l'esprit.

Descartes, sans rejeter le principe des contrats qui « peuvent remédier à l'inconstance des esprits faibles », entend que sa vie intellectuelle soit soustraite à tout engagement préalable car la pensée est et doit rester une aventure : « A cause que je ne voyais au monde aucune chose qui demeurât toujours en même état et que pour mon particulier je me promettais de perfectionner de plus en plus mes jugements et non point de les rendre pires, j'eusse pensé commettre une grande faute contre le bon sens si pour ce que j'approuvais alors quelque chose, je me fusse obligé de la prendre pour bonne encore après, lorsqu'elle aurait peut-être cessé de l'être ou que j'aurais cessé de l'estimer telle ».

C'est au nom du progrès, du perfectionnement intimes que certaines fidélités pétrifiées doivent être rejetées.

La morale de la fidélité sacrifie parfois l'autonomie.

Elle triomphe dans les moments de l'histoire où la liberté est affaiblie.

N'oublions pas que « féal » est le doublet de « fidèle » et que le « féal » au moyen âge est essentiellement un vassal assujetti à son suzerain.

C'est au nom de la fidélité que la tradition est préférée à la raison, l'autorité à l'évidence, le passé au présent, les habitudes desséchées à la conscience vivante.

Souvent la fidélité n'est que l'alibi de l'orgueil, un noble manteau dont nous déguisons notre obstination et notre sclérose.

Faut-il admirer Chateaubriand qui, drapé dans la fausse noblesse d'une opposition têtue, demeure contre vents et marées fidèle à Charles X et aux ultra-royalistes, au moment même où tous les gens raisonnables reconnaissent que cette politique est anachronique ? A cet idéal trop raide de fidélité André Gide opposait son culte de la sincérité absolue.

Être fidèle ce serait pour lui se limiter, se figer dans une attitude définitive et s'amputer ainsi de mille possibilités qui sommeillent en nous.

La chenille fidèle à un idéal de chenille ne deviendrait jamais papillon.

A l'homme fidèle -- mensonge pétrifié - Gide préfère l'homme sincère, perpétuellement disponible, toujours prêt à accueillir, à écouter avec ferveur les sentiments nouveaux qui en lui demandent à naître : « Nathanaël, que chaque attente en toi ne soit même pas un désir mais une disposition à l'accueil.» Pour Gide, donc, il n'est qu'une vraie fidélité, la fidélité à soi-même dont le nom est : sincérité.

Et nous lui accorderons volontiers que toute vraie fidélité est fidélité à soi-même, seulement il faudrait s'entendre sur ce qu'est le « moi ».

Le moi authentique, le moi respectable est-il donc celui des passions et des caprices ? A lire Gide on le croirait.

Mais la sincérité exige-t-elle la satisfaction immédiate de tous ces désirs incohérents et sauvages qui surgissent en nous ? Il est à craindre qu'une telle spontanéité ne soit qu'animalité, qu'une telle sincérité ne soit que lâcheté.

La sincérité est bien souvent l'alibi de la faiblesse, « un désir, dit La Rochefoucauld, de se dédommager de ses défauts et de les diminuer même par le mérite de les avouer ».

Étrange façon d'être fidèle à soi-même que trahir ses serments parce qu'on est emporté par une impulsion, par un caprice ! Pourquoi le moi des passions que nous subissons serait-il plus authentique que le moi de la volonté que nous construisons ? N'envions pas ce personnage des Mille et une Nuits qui avait obtenu de son génie la faculté de satisfaire ses moindres désirs, au moment même où ils surgissaient, et qui dans une seule journée fit mourir sa femme et ses enfants que pourtant il adorait ! « Si le regard pouvait tuer, dit Valéry, si le regard pouvait féconder, la rue serait pleine de cadavres et de femmes grosses ». Savoir se maîtriser, être fidèle à sa vocation profonde plutôt qu'à des caprices, vifs mais superficiels, c'est la vraie sincérité et en même temps la vraie fidélité.

La personne transcende le temps.

Être une personne c'est se donner une unité au-delà des changements.

En ce sens le serment est l'acte constitutionnel de la personne.

Dès que le moi se définit comme volonté, il n'y a plus de conflit entre fidélité et sincérité.

Sans doute la fidélité n'a plus de sens si elle prétend se manifester au niveau de la passion.

Littré est ambigu lorsqu'il assure que la fidélité est la « conservation de sentiments tendres entre amis et amants ».

Si ces « sentiments tendres » n'expriment que la servitude des passions, ils échappent à la volonté.

Je ne peux vouloir que des actes, je ne peux vouloir des passions qui s'emparent de moi ou disparaissent en dehors de toute volonté.

Mais tout cela ne signifie pas que je doive être fidèle à n'importe quoi et sans condition.

Je ne dois pas prêter aveuglément serment de fidélité à une femme, à un parti, à un chef, à une Église.

Il faut que ma fidélité soit justifiée par de bonnes et solides raisons.

Être fidèle à une haine n'est pas vertu mais triste rancune ; être fidèle à un serment extorqué est absurde. Comme le dit Jankélévitch : « la fidélité dans la sottise est une sottise de plus ».

Comprenons bien que la vraie fidélité est fidélité non à la lettre, mais à l'esprit.

Lorsque le jeune Renan quitte le séminaire, il demeure fidèle à ses maîtres, à l'exemple de pureté morale, de probité intellectuelle qu'ils lui ont légué.

Ce qui le détourne de l'Église ce n'est pas quelque passion, c'est justement cette exigence de vérité, ce sentiment du sérieux de la vie que l'Église a su lui donner.

C'est en restant dans le sein de l'Église qu'il la trahirait.

La « conversion » n'est trahison qu'en apparence.

Bien souvent, elle est — dans la lumière de la sincérité — fidélité profonde.. »

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