Faut-il se méfier du corps ?
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Introduction
Notre corps nous appartient en propre, et pourtant, il semble toujours être extérieur à nous, à notre âme ; la
traduction philosophique a en effet distingué le corps et l'esprit de manière drastique.
Le corps serait le lieu des
sensations, des plaisirs, des besoins et des instincts, tandis que notre esprit serait ce qu'il y a en nous de plus
noble.
Il n'y a donc pas seulement distinction, mais hiérarchie, puisque le corps semble être bien plus superficiel,
bien moins constitutif de notre personnalité que notre âme : ne condamne-t-on pas souvent ceux qui aiment
quelqu'un pour son corps et sa beauté physique, alors qu'au contraire aimer quelqu'un pour son intelligence ou son
caractère nous semble bien plus estimable ? On voit combien que le corps semble plus méprisable que l'âme.
Et
même lorsqu'on attribue une grande place au corps, comme le font ceux qui sont à la recherche de l'éternelle
jeunesse par le biais de soins, de chirurgie, de sport intensif, cela ne manifeste-t-il pas une autre sorte de
méfiance, selon laquelle notre corps serait fragile, trompeur, et pourrait devenir notre pire ennemi ? Qu'il soit glorifié
ou dévalué, le corps semble toujours faire l'objet d'un rapport de méfiance.
Aucune de ces deux attitudes ne
manifeste un rapport pacifié et confiant à notre corps.
Mais d'où peut donc provenir une telle méfiance ? Qu'est-ce
qui la justifie ? Doit-on se méfier du corps, parce qu'il ne nous permet qu'un accès au sensible, ou au contraire nous
fier à lui parce que lui seul peut nous donner cet accès ?
I.
Notre corps est fiable, c'est par lui que nous connaissons le monde
A.
Aristote commence les Seconds Analytiques en montrant que toute connaissance acquise par le
raisonnement suppose des préconnaissances, c'est-à-dire des connaissances antérieures sur lesquelles se
fonde le raisonnement.
Or, ces connaissances premières sont connues par l'expérience sensible, et donc par
le corps.
Notre corps nous met en contact avec le monde qui nous entoure, et par l'expérience sensible que
nous fournissent nos cinq sens, nous pouvons avoir une première connaissance qui serve de point de départ
à la réflexion.
Cette connaissance du corps est fiable.
B.
Pourtant, les illusions d'optique semblent nous indiquer le contraire : le bâton que l'on met à moitié dans
l'eau nous apparait comme s'il était brisé alors même qu'il continue d'être droit.
Cela ne nous prouve-t-il pas
que le corps nous ment et qu'il faut s'en méfier ? non, car même dans le cas du bâton qui semble rompu,
notre vue est exacte, nos sens ont bien raison de nous présenter le bâton de façon défigurée parce qu'il est
dans l'eau.
Les lois de l'optique nous permettent même de l'expliquer.
Kant, dans la Critique de la raison pure
explique qu'une sensation ne peut être vraie ou fausse : ce n'est
qu'une sensation.
Ce n'est donc ni la sensibilité, ni notre corps qui
doivent être incriminés.
Seuls les jugements que nous portons sur nos
sensations peuvent être vrais ou faux.
C.
Il faudrait donc en déduire que notre corps en lui-même n'est pas à
incriminer, par contre, c'est notre imagination qui nous joue parfois des
tours.
Pascal, dans les Pensée prend l'exemple de l'homme qui s'avance
sur une poutre suspendue dans les airs : il est pris de vertige et pense
tomber même si la poutre est amplement assez large pour qu'il ne
risque rien : la même largeur ne lui ferait pas du tout peur si la poutre
n'était surélevée que de quelques centimètres.
Transition : si donc notre corps est fiable du point de vue de la connaissance
et que nos erreurs viennent du jugement ou de l'imagination, est-il pour
autant inutile de s'en méfier ? Il se distingue malgré tout de l'esprit, et en
cela, le corps représente notre part animale.
Accorder une trop grande
attention au corps ne risque-t-il pas de nous détourner de ce qui fait de nous
des êtres humains distincts des animaux ?
II.
Notre corps nous revoie à notre part animale : il
s'oppose à l'esprit, c'est pourquoi il inspire la méfiance
A.
Notre corps a des besoins : il faut lui donner à boire, à manger, l'instinct de conservation et de
reproduction sont autant de contraintes qui nous rappelle que nous faisons partie de l'espèce animale.
En
cela, le corps se distingue de l'esprit : la réflexion n'est pas inscrite dans notre instinct, et elle suppose au
contraire, si on veut la mener de façon aussi complète que possible, que l'on se détache des besoins qui
nous asservissent au contraire à l'action.
Ainsi on peut penser qu'il n'est pas anodin que la Grèce, qui est à la
fois le berceau de la démocratie et de la philosophie ait été une société esclavagiste.
On peut penser qu'il
est même utile, pour que les hommes puissent accorder du temps aux réflexions intellectuelles, qu'ils soient
débarrassés de toutes corvées nécessaires à la survie de l'espèce.
Ainsi, la condition même de la liberté et
du plein développement de l'humanité serait qu'une partie au moins de la population soit affranchie des
besoins élémentaires du corps, soit par le travail des esclaves (ce qui ne légitime en rien l'esclavage, mais
permet de comprendre la spécificité des cités grecques), soit par le progrès technique.
B.
Dans cette perspective, le corps devient un fardeau dont il faut se dégager pour accéder au statut.
»
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