Faut-il se fier aux apparences ?
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Introduction
-L'apparence désigne ce par quoi une chose apparaît ; elle est donc liée à la chose même dont elle constitue la manifestation.
-Or, nous pouvons avoir deux conceptions générales de l'apparence : d'une part, l'apparence peut constituer une sorte de reflet qui
manifeste un objet qui lui est par nature distinct ; mais d'autre part, l'apparence peut aussi être considéré comme étant par essence
constitutif de cet objet même, en tant que l'objet ne serait rien d'autre que son apparence même.
-D'où une attitude ambivalente face aux apparences : doit-on avoir une certaine retenue face aux apparences, comme si elles
constituaient le lieu des illusions ? ou bien doit-on, au contraire, en avoir une confiance aveugle, au sens où elles seules constitueraient
le socle réel à partir duquel le monde pourrait être perçu dans sa réalité propre ? Quelles sont les diverses attitudes à adopter face aux
apparences, selon les conceptions particulières que l'on peut se forger de celles-ci ?
I .L'apparence est le lieu de l'illusion sensible (Platon).
Dans la perspective platonicienne, l'apparence constitue comme le reflet d'une réalité d'où elle dérive mais dont elle ne tire pas son
essence : l'apparence et le reflet que celle-ci manifeste constituent des réalités aux statuts ontologiques bien séparés.
L'apparence est
constitutive du monde sensible en général : ce que nous prenons pour la réalité ne constitue qu'un reflet d'une réalité supérieur, le
monde des Formes intelligibles, dont les apparences sensibles n'en constituent que les images dégradées, car mêlées entre elles.
L'on
ne saurait donc jamais se fier aux apparences pour atteindre la vérité, puisque par essence elles sont instables au sein du devenir,
contrairement au monde immuable des Formes ; c'est la raison pour laquelle la doctrine platonicienne du savoir ne prend absolument
pas en compte la possibilité d'une physique, c'est-à-dire d'une science de la nature.
II.
L'apparence peut également être celle de la pensée, et être tout aussi illusoire (Kant).
L'apparence est certes constitutive de l'expérience sensible, mais, pour Kant, nous n'avons accès qu'à elle : le monde des phénomènes
renvoie en effet au monde des choses en soi, dont nous n'avons pas accès, car nous ne sommes pas pourvus d'une intuition
intellectuelle.
Ce qui constitue l'apparence réelle, alors, si l'on entend toujours ce terme dans le sens de l'illusion, ce sont les
raisonnements fondés sur des concepts qui portent sur cette réalité inaccessible des choses en soi.
Ces raisonnements sont nommés
« dialectiques » par Kant, en référence à Aristote : un raisonnement dialectique est un raisonnement qui utilise des concepts auxquels
ne correspond aucune intuition sensible.
Ainsi, dans la perspective kantienne, il s'agit de rester toujours dans le domaine des
apparences, si l'on entend par là le domaine des phénomènes (en tant qu'objets de toute expérimentation possible), et de s'éloigner de
l'apparence transcendantale des raisonnements dialectiques.
L'on s'écartera donc de l'apparence dialectique, précisément parce que
l'on entend respecter notre mode d'appréhension des apparences phénoménales.
III.
L'apparence, c'est l'être lui-même : il faut se fier à elle comme au fondement de notre expérience vécue (la
phénoménologie).
La phénoménologie, initiée par Husserl, a pour mot d'ordre le « retour aux choses mêmes »
(Ideen) ; en effet, la phénoménologie constitue une doctrine philosophique qui part du principe
que l'objet n'est rien d'autre que les phénomènes qui le manifestent.
Ainsi, il n'y a plus
d'opposition entre l'essence et l'apparence, ou entre la vérité et l'apparence.
Le rôle
philosophique de ce postulat de départ est d'une importance extrême, car il s'agit, pour la
phénoménologie, de fonder le savoir sur la recollection des impressions phénoménologiques de
base.
L'épochè husserlienne constitue ainsi le gage premier d'une confiance retrouvée en
l'apparence.
C'est à partir d'elle que peuvent se constituer des théories qui permettront
d'expliquer, par exemple, les théories scientifiques elles-mêmes.
En retrouvant le sens des
apparences, c'est-à-dire du vécu primordial, on peut ainsi expliciter et éclaircir les fondements
des théories qui, elles, s'édifient sur l'occultation voire sur la dénégation de l'apparence.
La
science de l'apparence, du phénomène, doit donc asseoir les théories qui s'édifient sur leur
dénégation même.
Comme il n'y a d'être que de l'apparaître, refuser d'accorder sa confiance au
paraître revient à dénier l'être lui-même.
Conclusion.
-L'apparence est, si l'on peut dire, elle-même victime des « apparences », puisqu'elle est
toujours assimilée à la notion d'illusion, de façon péjorative ; est apparent, dans cette
perspective, ce qui est ontologiquement dégradé par rapport à un modèle supérieur.
-Or, l'apparence n'est pas qu'une illusion, ou du moins c'en est une de la déterminer comme telle ; car l'apparence, en tant qu'elle est
cela même qui révèle l'objet, est cet objet lui-même ; il faut donc en passer par elle pour pouvoir déterminer les structures essentielles
de la réalité, puisque toute réalité est une réalité vécue.
-Se demander s'il faut se fier aux apparences, c'est tomber dans l'ambiguïté de la valeur à accorder à la notion d'apparence : l'on ne
saurait se fier aux apparences sensibles ni aux raisonnements dialectiques pour pouvoir édifier une théorie scientifique valable
universellement et empiriquement, mais une métaphysique de l'apparence reste nécessaire pour fonder la théorie scientifique ellemême.
Se fier aux apparences, en définitive, c'est donc se fier à notre propre pouvoir de fonder : n'est donc victime des apparences
que la théorie qui dénie le statut fondationnel et métaphysique des apparences..
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