Faut-il renoncer à toute objectivité en science ?
Extrait du document
«
Hume a fait voler en éclats l'idée courante selon laquelle l'expérience et l'expérimentation valident les
lois scientifiques.
Or le plus grand philosophe d e l'époque, Kant, est persuadé de la vérité de la
physique d e Newton, que l'on dit dérivée des observations.
Kant est par ailleurs sensible à
l'argumentation de Hume ce qui le conduit à une contradiction.
« Je l'avoue franchement ce fut
l'avertissement d e David Hume qui interrompit d'abord, voilà bien des années, mon sommeil
dogmatique...
» Kant a compris qu'on ne peut fonder la vérité de la science sur l'expérience et se
demande donc ce qui fonde la physique newtonienne.
Pour échapper à cette difficulté, il invente l'une
des plus ingénieuses trouvailles de la philosophie.
Il fera ainsi selon ses propres termes sa « révolution
copernicienne ».
Si la théorie newtonienne ne repose pas sur l'observation, quel peut bien ê son fondement ? se
demande Kant.
Il aborde cette question en examinant en premier lieu le statut de la géométrie.
La
géométrie euclidienne n'est pas fondée sur l'observation, affirme-t-il, mais sur l'intuition que nous
avons des relations spatiales.
Or, dit Kant, la science newtonienne se trouve dans une situation
analogue.
.
Bien que confirmée par des observations, elle n'est pas forcément produite par ces
observations.
Ce sont au contraire nos propres manières de penser, nos efforts pour ordonner les
observations qui échafaudent notre appréhension scientifique.
Ce ne sont pas les données sensibles,
mais notre entendement de ces données, l'organisation du système d'assimilation que constitue notre
esprit qui permettent l'élaboration des théories.
La nature telle que nous la connaissons, avec son ordre
et ses lois, est donc en grande partie le fruit des processus d'assimilation et de mise en ordre propres à
notre esprit.
Pour reprendre la formulation frappante qu'en a donnée Kant : « L'entendement ne puise
pas ses lois dans la nature mais les lui prescrit.
»
Kant explique ainsi l'expression de « révolution copernicienne » : Copernic, ayant découvert que la théorie des mouvements du ciel
perfectionnée par Ptolémée (90-168) ne permet aucun progrès, a rompu le noeud gordien en renversant, en quelque sorte, la façon de
poser le problème.
Il a fait l'hypothèse suivante : ce n'est pas le ciel qui tourne tandis que nous, observateurs, nous restons immobiles,
ce sont les observateurs, la Terre, qui tournent tandis que le ciel reste immobile.
C'est d'une manière analogue, déclare Kant, qu'il
convient de résoudre le problème de la connaissance scientifique : comment une théorie exacte, comme la théorie newtonienne , est-elle
possible et comment avons-nous pu la découvrir ? Renonçons à l'idée que nous sommes des observateurs passifs qui attendons de la de
la nature qu'elle imprime en nous sa loi.
Au cours du processus d'assimilation des données sensorielles, c'est nous, au contraire, qui leur
imprimons de manière active, l'ordre et les lois émanant de notre entendement.
Le cosmos qui nous entoure porte la marque de l'esprit
humain.
Copernic a privé l'homme de sa position centrale dans l'univers physique.
Kant généralise ce relativisme.
Il montre qu'il faut
renverser le rapport entre l'esprit et la nature comme Copernic a renversé le mouvement entre la Terre et le Soleil.
Cela ne s'applique bien sûr qu'au monde observable, le monde des phénomènes, et en aucun cas à celui des essences.
PRÉALABLE: JUGEMENTS ANALYTIQUES ET SYNTHETIQUES CHEZ KANT
Kant distingue 3 types de jugements:
a) Le jugement analytique (ou tautologique) est un jugement qui n'a pas besoin de l'expérience, l'esprit n'a pas besoin de sortir de luimême pour connaître.
Ces jugements indépendants de l'expérience sont dits a priori.
Ils ont une qualité et un défaut.
Leur qualité est la
rigueur et la certitude de ne pas se tromper.
Leur défaut: l'esprit piétine, bégaie et n'apprend rien.
Exemples: un triangle a 3 angles, ma
grand-mère est la mère de mon père ou de ma mère.
b) Le jugement synthétique nous donne une information nouvelle, ils sont dérivés de l'expérience.
Par exemple, tous les corps sont
pesants ou ma grand-mère est blonde: je ne l'aurai jamais su par la seule pensée.
Les jugements synthétiques sont a posteriori.
Ils ont
eux aussi un avantage et un inconvénient.
Leur avantage est leur fécondité: j'apprends quelque chose, leur inconvénient: l'expérience est
aléatoire, partielle voire partiale (ma grand-mère est peut-être une fausse blonde !), je tire, par induction, des énoncés généraux dont
rien ne me dit qu'ils ne seront pas plus tard invalidés par d'autres expériences.
c) Les jugements synthétiques a priori.
Ces jugements sont aussi féconds que les synthétiques et aussi rigoureux que les analytiques.
Les
mathématiques offrent l'exemple de tels jugements.
Un énoncé aussi simple que 7 + 5 = 12 est à la fois synthétique (je ne peux tirer
par analyse du 7 et du 5 le nombre 12) et a priori (je n'ai pas besoin d'en passer par l'expérience pour l'affirmer).
L'intuition sensible ou perception est nécessairement spatiale (nous ne voyons jamais du rouge, mais une surface rouge) ou temporelle
(une douleur est ressentie par sa durée).
L'espace et le temps sont donc, nous dit Kant, les formes a priori de la sensibilité, les filtres à
travers lesquels notre esprit « lit » le monde.
Point de perception hors du temps et de l'espace.
Cela étant, l'intuition sensible ne constitue pas encore une connaissance, car toute connaissance
suppose une perception assimilée.
C e processus d'assimilation par notre esprit se fait à travers un
certain nombre de formes de pensée qui nous sont propres et que Kant appelle « catégories ».
Seul
l'usage de ses catégories (réalité, nécessité, causalité...) permet de produire des jugements , des
affirmations.
Hume a montré, on l'a vu, que les jugements, par exemple les lois scientifiques, ne sont
pas contenus dans l'expérience.
Si des jugements d e causalité, de nécessité, etc., peuvent être
appliqués aux données sensibles, il faut donc que leur principe existe a priori dans mon esprit,
puisqu'ils ne sont pas contenus dans les données sensibles.
Il suffit donc d e rappeler la liste des
jugements possibles pour en déduire les principes a priori.
« Nous ne connaissons a priori des choses
que ce que nous y mettons nous-mêmes », écrit Kant.
La faculté de produire des jugements s'appelle
« entendement » ; les concepts a priori qui permettent les jugements sont les catégories a priori de
l'entendement.
Ainsi sont produites les douze catégories Kantiennes dont Kant donne la liste : unité, pluralité, totalité,
réalité, négation, limitation, inhérence et subsistance, causalité et dépendance, communauté,
possibilité/impossibilité, existence/non-existence, nécessité/contingence.
Si l'on veut restaurer la certitude de la science, il faut que sa méthode parvienne à concilier la
nécessité rationnelle et le caractère toujours en partie contingent de l'expérience.
C e sera l'une des
préoccupation centrale de Kant.
Il s'efforcera de montrer comment les connaissances dignes de ce nom
sot toujours le produit d'une rencontre entre les données de l'expérience sensible et le travail
conceptuel de l'entendement.
C e dernier reçoit de l'extérieur, par le moyen d e la sensibilité, une.
»
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