Faut-il renoncer à connaître ce qui est changeant ?
Extrait du document
«
Si notre intelligence, essentiellement rationnelle et discursive, ne combine que des idées générales, elle est réduite à
ignorer le singulier et, comme nous venons de le voir, le changement.
Dans ces conditions, la connaissance humaine
est soit condamnée à demeurer imparfaite, incapable d'atteindre la vérité dynamique et mouvante des choses
singulières, soit forcée à se tourner vers une autre faculté que l'intelligence pour parvenir à la connaissance vraie.
Quelle pourrait être cette autre faculté ? Elle n'aurait pas recours aux mots, nécessairement généraux ; elle serait
donc intuitive ; elle consisterait en une saisie directe et immédiate du changement.
Il s'agirait donc plus d'un vécu
spécifique que d'une connaissance rationnelle.
La vérité de ce genre de connaissance ne consisterait plus en une
copie des choses mais en une expérience des choses elles-mêmes.
Pourtant ne peut-on pas défendre la possibilité d'une connaissance proprement rationnelle du changement ? La
physique n'est-elle pas capable d'expliquer l'évolution des structures matérielles, le déplacement des objets dans
l'espace ? La justesse de ses modèles théoriques est d'ailleurs
régulièrement confirmée par l'exactitude de ses prévisions expérimentales.
Il est vrai que cette connaissance
scientifique du changement se fonde sur la connaissance de lois, autrement dit du repérage de la permanence d'un
certain ordre dans le déroulement des phénomènes naturels.
La physique n'est possible que parce que tout ne
change pas dans ce qui change.
Les lois du changement restent fixes même quand les objets changent
complètement.
Sans cette structure stable (on ne peut pas s'avancer jusqu'à dire immuable) de la nature, aucune
connaissance rationnelle, scientifique ou technique ne seraient possibles.
Autrement dit, la science, par ses
concepts et ses théories, ne crée pas la fiction de la permanence : elle rend bien compte d'une permanence
objective, d'un ordre relativement stable inscrit dans le coeur des choses.
Bergson n'a donc pas tort de soutenir que
l'intelligence est incapable de penser le changement.
Le changement pur, radical, absolu serait non seulement
impensable mais annulerait même toute possibilité de pensée.
On pourrait le vivre mais en le subissant.
On ne
s'apercevrait de rien, on le ressentirait tout au plus.
Vouloir connaître le changement revient donc seulement à
vouloir en faire l'expérience.
Connaître consiste à produire un discours sur un objet, discours qui a deux caractéristiques principales : d'une part,
l'acte de connaître est le moyen de donner une définition de l'objet que l'on s'attache à étudier.
De l'autre,
connaître est le moyen d'avoir une action sur l'objet de connaissance, le moyen de le maîtriser.
Nous renonçons
donc à connaître lorsque nous reculons devant un obstacle à l'activité de définition, ou lorsque nous nous déclarons
incapables d'agir sur l'objet de connaissance.
« Ce qui est changeant » est une expression pour le moins vague : elle désigne généralement tous les objets ou les
êtres qui n'ont pas d'identité.
En effet, l'identité est le caractère d'un être ou d'une chose qui demeure identique à
elle-même dans le temps.
L'identité équivaut à la permanence des caractères définitoires d'une chose ou d'un être.
La notion de connaissance et celle de changement apparaissent pour le moins incompatibles : si l'acte de connaître
est l'acte de production d'un discours qui prétend à la vérité, c'est-à-dire, qui prédique une chose d'une autre, une
telle activité parait impossible dans le cas des objets changeants.
Comment connaître, c'est-à-dire définir et
maîtriser, une chose qui n'est jamais semblable à elle-même ?
Nous nous demanderons donc si l'objet de la connaissance doit nécessairement demeurer identique à lui-même pour
qu'il soit possible de le définir et de le maîtriser.
I.
L'identité d'une chose à elle-même est la condition nécessaire de l'activité de
connaissance
a.
La légalité des phénomènes, condition nécessaire de la connaissance
Nous commencerons en disant qu'il est impossible de connaître ce qui est changeant.
En effet, la légalité des
phénomènes apparaît comme la condition nécessaire de la connaissance : il faut que les choses agissent en fonction
de lois définitives, immuables, pour qu'il soit possible de les définir et de les maîtriser.
Prenons l'exemple d'un
phénomène naturel, celui de l'alternance du jour et de la nuit.
Nous ne pouvons connaître cette alternance qu'à la
condition de sa répétition dans le temps, de sa permanence.
De même, nous ne pouvons maîtriser cette alternance
qu'à la condition de sa légalité (de son obéissance à un fonctionnement immuable) : notre vie serait entièrement
changée si l'alternance du jour de la nuit devenait contingente, donc impermanente.
b.
L'impossible connaissance des êtres et des choses impermanentes
A contrario, nous dirons qu'il est impossible de connaître les êtres et les choses impermanentes.
En effet, aucun
discours prétendant à la vérité, à une définition pertinente et à une maîtrise efficace d'un objet de connaissance, ne
peut être produit, si son objet est sans cesse dissemblable à lui-même.
Le discours demeurera le même, alors que
l'objet diffèrera.
Par conséquent, nous dirons qu'il faut renoncer à connaitre ce qui est changeant.
II.
L'impermanence, caractéristique des êtres et des choses, interdit la connaissance.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Faut-il renoncer à connaître ce qui est changeant ?
- Faut-il renoncer à connaître le vivant ?
- Freud: Faut-il ressentir pour connaître ?
- Faut-il renoncer à l'idée que l'histoire possède un sens ?
- En quel sens faut-il s'étudier pour se connaître ?