Faut-il refuser toute liberté aux ennemis de la liberté ?
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• Remarques préalables.
La formulation de la question doit être prise en compte de manière attentive.
Chaque terme est important, mais
dans le contexte de l'énoncé : il ne faut donc pas perdre de vue, dans l'étude analytique de la question, l'unité
qu'elle forme.
On s'attachera donc à dégager un problème philosophique clairement défini à partir d'une approche
analytique qui, en elle-même, ne doit constituer qu'une première étape de la réflexion.
• Première étape : étude analytique.
— L'expression « faut-il » refuser appelle un travail de réflexion sur ce qui est présenté comme une éventuelle
nécessité : nécessité au nom de quoi, selon quel critère ? Quel type d'exigence peut conduire à refuser toute liberté
?
— La distinction entre toute liberté et la liberté doit, elle aussi, être prise en compte.
Toute liberté, c'est tout type
de liberté, toute forme particulière de liberté.
La liberté, désignée ici sous sa forme générale, enveloppe toutes les
formes de liberté, ou plus exactement une liberté qui, étant donnée, contient toutes les autres.
La distinction
proposée prend donc sa signification en niveau d'une spécification de la notion de liberté.
Opposer une forme
particulière de liberté à la liberté en général, n'est-ce pas donner à entendre que le tout doit être nettement
différencié de la partie, et, en l'occurrence, a bien plus de prix ? De fait, le sens général de la question se réfère à
l'idée qu'on pourrait « sacrifier » la partie en tout, sauver la liberté en supprimant provisoirement une des libertés
particulières qui la constituent.
Au-delà de cette remarque sur l'opposition maîtresse contenue dans l'énoncé, il y a
bien sûr nécessité de prendre en considération les différents sens du mot liberté (liberté de droit, liberté de fait.
Liberté de penser, liberté d'agir, etc.
Cf.
les distinctions proposées par Leibniz dans les Nouveaux Essais sur
l'entendement humain).
— Qui sont les « ennemis de la liberté » ? Sans doute ceux qui entendent s'opposer à sa réalisation, ou la rendre
impossible, ou ceux qui, supprimant les différentes libertés, menacent la liberté elle-même.
Par exemple, la
suppression de la liberté d'association peut tendre à assujettir les individus à un pouvoir qui les opprime d'autant
plus facilement qu'ils sont plus isolés ; de même l'abolition de la liberté d'expression, interdisant la libre
communication des pensées, tend à supprimer toute résistance aux menées d'un pouvoir totalitaire.
— La question suppose un dédoublement entre l'auteur du refus (« peut-on refuser ») et les personnes visées (les «
ennemis de la liberté »).
Quel est cet auteur ? Un gouvernement, une loi, des juges ? La question peut varier, selon
l'idée que l'on se fait de la puissance habilitée à donner ou à refuser.
Si l'on se situe, par exemple, dans une logique
de la souveraineté populaire, c'est le peuple lui-même qui accorde ou refuser telle ou telle liberté, par la voie de ses
représentants.
Si au contraire on se situe dans la logique d'un type de pouvoir tel qu'il se pensait lui-même dans la
monarchie d'ancien régime, c'est le roi, « représentant de Dieu » (Bossuet) et non du peuple, autorité « verticale »
donc, qui peut refuser ou accorder.
Dans le premier cas, celui qui gouverne est aussi celui qui est gouverné : il est
censé incarner, dans l'exercice du pouvoir, des exigences, que la communauté se prescrit à elle-même et qu'elle
charge les représentants, qu'elle se donne, de mettre en oeuvre.
— La question est donc de droit (légitimité éventuelle d'une mesure déterminée) et de fait (nécessaire « efficacité »
d'une organisation qui doit se donner les moyens de sauvegarder la liberté).
La combinaison, et le caractère
indissociable de ces deux points de vue dans une approche philosophique, constituent ici l'essentiel de la difficulté..
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