Faut-il opposer l'esprit et la matière ?
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«
Descartes, on le sait, a insisté sur une opposition constatée depuis longtemps déjà, mais qu'il a voulu mettre à la
base de son système ; celle entre la matière res extensa et la pensée res cogitans, qui est l'essence même de
l'esprit.
Chez les philosophes postérieurs à Descartes, cette opposition est devenue parallélisme (Leibniz, Malebranche) ou
exclusivisme d'un côté ou de l'autre : d'une part, idéalisme allant jusqu'à l'immatérialisme de Berkeley ou au
phénoménisme de Hume; d'autre part, théories physiologistes, épiphénoménisme ou même matérialisme moderne.
Il y a donc lieu, devant de telles conséquences, d'examiner ce que vaut cette opposition : d'abord si elle est réelle,
et ensuite si elle exclut tout rapport entre la matière et l'esprit.
I.
— MATIÈRE ET ESPRIT : OPPOSITION ET DISTINCTION.
A.
A première vue, l'examen des caractères respectifs de l'esprit et de la matière semble donner aisément raison à
Descartes :
— d'une part, extension et juxtaposition "des parties dans l'espace; une certaine inertie : tels se présentent à nous
les corps, surtout les corps sans vie;
— d'autre part, réalité inétendue, simple, toujours active : telle se révèle à nous la pensée, donc sa cause : l'esprit.
B.
Mais, bien vite, on remarque aussi dans les corps, surtout dans des corps organisés et même dans la matière non
vivante, une certaine unité, qui se traduit par une organisation plus ou moins parfaite et une énergie indéniable
(celle des réactions chimiques par exemple).
Par ailleurs, le caractère subjectif et intime de notre pensée la fait échapper en partie à l'investigation scientifique
externe; et ses relations avec les ,états de notre corps et de nos organes semblent la faire dépendre de ceux-ci,
spécialement de l'activité nerveuse cérébrale.
De là sont nés deux groupes de théories :
— les unes essayant de ramener l'essence de la matière à des groupements d'énergies simples en elles-mêmes;
— les autres affectant de ne voir, dans ce qu'on appelle « la vie de l'esprit », que le résultat de mouvements plus ou
moins compliqués, mais toujours quantitatifs et déterminés de la matière.
Que valent le monadisme leibnizien et le
mécanisme matérialisme ?
C.
Sans instituer ici une discussion complète sur ces deux systèmes, il semble que :
a) Le monadisme, en ramenant la matière à des éléments simples et actifs, expliquera difficilement le caractère
d'étendue: et d'inertie qu'on trouve dans les corps.
Ainsi le pur dynamisme, rapprochant trop la matière de l'esprit : 1° heurte violemment ce que l'expérience nous
apprend du monde extérieur; 2° il se heurte aussi à cette difficulté signalée par Pascal dans son opuscule De l'esprit
géométrique : constituer un divisible avec plusieurs indivisibles; et, de ce chef, s'oppose à notre raison.
b) Les systèmes à tendances mécanistes, cherchant à réduire l'esprit à la matière, ne semblent guère plus
satisfaisants, qu'il s'agisse de l'épiphénoménisme ou du matérialisme proprement dit.
Le premier ne peut expliquer comment cet aspect, ce « reflet » conscientiel subjectif, intérieur et simple apparaît et
naît tout à coup des phénomènes objectifs et étendus dont les caractères lui sont directement opposés.
Quant au second :
— il obéit à un préjugé de système en rejetant tout moyen de connaissance directe autre que les sens, alors que la
conscience et la raison témoignent par elles-mêmes de leur activité cognitive.
— de plus, il confond (plus ou moins sciemment) condition « sine qua non » et cause proportionnée.
L'activité
cérébrale est condition nécessaire de la pensée humaine voilà tout ce que prouvent les faits cités : ils n'y montrent
nullement une condition suffisante, une cause.
Enfin, épiphénoménistes et matérialistes négligent tous l'action du moral sur le physique, qui témoigne éloquemment
du dualisme en sens inverse de celui qu'ils soutiennent.
Et les conséquences de leur doctrine touchant la liberté et la morale sont trop graves et trop opposées au
témoignage de la conscience psychologique et morale pour ne pas militer contre eux.
Telles sont les réponses spiritualistes traditionnelles; Bergson en a mis, lui aussi, quelques-unes en lumière,
spécialement dans Matière et mémoire.
D.
Pour être objectif, il semble donc nécessaire de conclure que la matière et l'esprit sont bien deux réalités
irréductibles l'une à l'autre.
Et si les propriétés de la matière nous montrent en» elle un double principe (l'un d'étendue et de passivité, qui se
prête à toutes les modifications; l'autre d'unité, d'organisation, d'énergie), les actes de l'esprit nous révèlent sa
nature purement active, simple, inétendue et indépendante de la quantité et de l'espace.
Certains faits, cependant,
nous obligent à préciser la nature et la portée de cette distinction.
II.
— MATIÈRE ET ESPRIT : RAPPORTS ET UNION.
A.
La thèse cartésienne, en insistant sur l'opposition irréductible de la matière et de l'esprit, tend, en effet, à faire
oublier leur interaction et leurs rapports constatés ci-dessus, et à isoler en nous ces deux éléments dont nous
constatons la présence.
Sans doute, Descartes parle bien d'union substantielle, mais il explique les rapports entre ces deux substances
hétérogènes par un lien tout accidentel : celui des « esprits animaux »; et certains voient la traduction de la pensée.
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