Faut-il opposer la vérité à l'illusion ?
Extrait du document
«
Vérité
La vérité concerne l'ordre du discours, et il faut en cela la distinguer de la réalité.
Elle se définit traditionnellement
comme l'adéquation entre le réel et le discours.
La philosophie, parce qu'elle recherche la vérité, pose le problème de ses conditions d'accès et des critères du
jugement vrai.
Illusion:
Du latin illudere, « tromper, se jouer de ».
Il faut distinguer l'erreur de l'illusion : alors que l'erreur m'est toujours
imputable, en ce qu'elle résulte de mon jugement, que je peux toujours corriger, l'illusion (par exemple une illusion
des sens) est un effet de la rencontre entre mes organes et le réel, qui peut être expliquée, mais non dissipée.
1.
La raison, productrice d'illusions
Le projet de débarrasser la raison humaine de toute illusion est, selon Kant, impossible, le désir de connaître au-delà
des limites du connaissable étant inhérent à la nature de l'homme : la raison est elle-même productrice d'illusions.
Notre entendement est victime d'une illusion lorsqu'il pense pouvoir connaître la chose en elle-même.
« C'est là une
illusion qu'il ne nous est pas possible d'éviter, pas plus que nous ne saurions faire que la mer nous paraisse plus
élevée à l'horizon qu'auprès du rivage », écrit Kant dans la Critique de la raison pure.
L'illusion n'est plus seulement un déchet à éliminer (Platon, Descartes), mais elle est consubstantielle à l'instrument
lui-même, la raison, qui se trouve empêtrée dans ses propres contradictions (antinomies : opposition d'une thèse et
de son antithèse).
La « Dialectique transcendantale » est donc cette partie de la « Critique de la raison pure » où
Kant examine comment la raison se contredit elle-même lorsqu'elle veut
connaître au-delà de l'expérience.
Et il est bien question ici d'illusion, et non d'erreur, car l'illusion
transcendantale est inévitable, incorrigible, à l'inverse de l'erreur.
L'illusion
transcendantale est un besoin structurel de la raison pure, et aucun effort
d'attention ne peut y remédier.
La connaissance est unification.
Pas de connaissance sans données sensibles
; mais les formes a priori de la sensibilité (espace et temps) unifient déjà les
données de l'expérience.
Puis cette expérience sensible est unifiée sous les
catégories de l ‘entendement.
La raison, enfin, a pour destination d'unifier
toute la connaissance en un système sous des idées, le moi, le monde et
Dieu.
Ces idées ne sont donc que des formes organisatrices, ou des «
principes régulateurs ».
Il y a illusion dès lors que la raison nous induit, par
son essence même, à prêter à ces idées une valeur objective, et à vouloir
faire de la psychologie et de la théologie des sciences à part entière, alors
que nous n'avons aucune expérience sensible de ces objets, et ne pouvons
en aucune façon en avoir.
La dialectique a pour tâche de nous prémunir contre cette apparence
trompeuse qui consiste à prêter une valeur objective à ces pures formes de la
raison.
L'illusion de la psychologie rationnelle (ou paralogisme) consiste à transformer
le « je pense », forme a priori d'unification de mes connaissances, en un être
substantiel, à faire du pur sujet de la pensée un objet de la pensée.
L'illusion peut alors se développer en une
pseudo-science de la nature, de l'origine et de l'immortalité du moi.
L'illusion cosmologique objectivise l'idée du monde comme unité suprême de l'expérience externe.
L'illusion se révèle
à travers les quatre antinomies qui permettent, concernant quatre « propriétés » du monde, de soutenir à la fois la
thèse et l'antithèse.
• Première antinomie : le monde a un commencement dans le temps et il est limité dans l'espace/ le monde n'a pas
de commencement dans le temps et n'est pas limité dans l'espace.
• Seconde antinomie : tout ce qui existe est composé d'éléments simples / il n'existe rien de simple dans le monde
(divisibilité à l'infini).
• Troisième antinomie : tout n'est pas soumis au déterminisme, il existe une causalité libre / il n'existe pas de
causalité libre.
• Quatrième antinomie : il existe un être nécessaire, comme partie ou cause du monde / il n'existe pas d'être
nécessaire, ni dans le monde, ni en dehors.
En l'absence du critère de l'expérience, la raison démontre aussi bien le pour que le contre.
Surgit alors le fantôme
du scepticisme.
Mais Kant pense échapper au scepticisme justement en mettant à nu le sophisme, qui fait glisser
d'une idée de la raison à son existence comme chose en soi objective.
La raison est à elle-même son propre remède
: c'est la démarche critique.
Il en va de même, enfin, concernant la théologie rationnelle qui entretient l'illusion de preuves de l'existence de Dieu,
preuves que Kant démonte une à une, montrant leur valeur purement spéculative.
Avant Kant, Hume avait déjà soumis ces trois idées, le moi, le monde, Dieu, à une critique définitive en en montrant
la connaissance illusoire.
Mais Hume, en sceptique, concluait à l'inutilité, voire au caractère néfaste de ces idées
pour la science, Kant, au contraire, malgré leur charge d'illusion, leur accorde un rôle positif suprême comme pôle.
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