Faut- il oposer le désir et la raison ?
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«
[Désirs et passions entrent nécessairement en conflit avec la raison.
Désirer c'est renoncer à la raison.]
"Être ainsi délié, voilà donc ce contre quoi l'âme du vrai philosophe
pense qu'on ne doit rien faire, et de la sorte elle se tient à l'écart des
plaisirs, aussi bien que des désirs, des peines, des terreurs, pour
autant qu'elle en a le pouvoir.
Elle calcule en effet que, à ressentir
avec intensité plaisir, peine, terreur ou désir, alors, si grand que soit le
mal dont on puisse souffrir à cette occasion, entre tous ceux qu'on
peut imaginer, tomber malade par exemple ou se ruiner à cause de
ses désirs, il n'y a aucun mal qui ne soit dépassé cependant par celui
qui est le mal suprême ; c'est de celui-là qu'on souffre, et on ne le met
pas en compte ! - Qu'est-ce que ce mal, Socrate ? dit Cébès.
- C'est
qu'en toute âme humaine, forcément, l'intensité du plaisir ou de la
peine à tel ou tel propos s'accompagne de la croyance que l'objet de
cette émotion, c'est tout ce qu'il y a de plus clair et de plus vrai, alors
qu'il n'en est point ainsi.
Il s'agit alors au plus haut point de choses
visibles, n'est-ce pas ? - Hé ! absolument.
- N'est-ce pas dans de
telles affections qu'au plus haut point l'âme est assujettie aux chaînes
du corps ? - Comment, dis ? - Voici : tout plaisir et toute peine possèdent une manière de clou,
avec quoi ils clouent l'âme au corps et la fichent en lui, faisant qu'ainsi elle a de la corporéité et
qu'elle juge de la vérité des choses d'après les affirmations mêmes du corps.
" PLATON
L'âme du philosophe aspire à se ramasser en elle-même et éprouve le corps comme obstacle et entrave
qui l'empêche d'être entièrement pure pour l'activité qui lui est propre et qu'elle exerce par elle-même :
l'intelligence de l'être véritable.
C'est pourquoi l'âme du philosophe ne peut s'opposer sans inconséquence à tout ce qui la sépare du
corps ; à la mort elle-même, mais aussi à cet apprentissage de la mort — mourir au sensible — qui lui fait
durant la vie même se tenir à l'écart du corps et de ses affects, en un mot éviter de se compromettre
avec lui plus qu'il n'est nécessaire.
La raison qu'elle a d'éviter plaisir, peine et désir n'est pas celle qui vient à l'esprit du vulgaire.
La plupart
des hommes, en effet, s'imaginent que la passion et la soumission aux impulsions du corps sont funestes
parce qu'elles nuisent non pas tant à leur âme qu'à d'autres passions et d'autres intérêts tout aussi
sensibles :
ainsi, la coquette se retiendra de succomber à la gourmandise, ainsi il y aura des courageux par lâcheté
(par peur d'être blâmé ou puni), et des tempérants par intempérance (qui s'abstiennent de boire pour
mieux s'adonner au plaisir).
Le dérèglement est ainsi le vrai principe de ce qui leur semble vertu.
Car le
vulgaire est incapable de voir en quoi consiste le vrai mal de la passion et du plaisir.
Celui-ci n'est pas un
effet de la passion, qui serait à son tour une passion, comme la souffrance ou la tristesse accompagnant
les conséquences de l'excès d'un plaisir, mais tient à la nature ontologique de la passion et du plaisir
eux-mêmes.
En effet, toute passion, en fonction même de son intensité, fait croire à l'être et à la vérité
de son objet.
Un courtisan considérera la faveur du roi comme le bien le plus réel de tous, bien qu'il ne
soit que vanité.
La condamnation de la passion ou du plaisir n'est donc pas l'effet d'un quelconque «
moralisme » mais a pour seul motif leur puissance falsificatrice.
Car la violence de la passion dote d'une
pseudo-consistance ontologique des objets qui sont ceux du corps, c'est-à-dire sensibles.
C'est ainsi
que le tyran qui est le plus esclave de tous (de ses désirs) s'imagine que son pouvoir est réel.
C'est pourquoi le plaisir et la peine sont comme un « clou » qui attache l'âme au corps, c'est-à-dire font
du corps et de ses passions comme la mesure de la vérité et de l'être.
Pour Platon, l'attachement de
l'âme au corps et sa délivrance ne prennent sens que rapportés à la destinée essentielle de l'âme : être
à proximité de la vérité.
« Je m'aperçois qu'un désir violent te pousse aux plaisirs de l'amour.
Or, à condition que tu ne veuilles
renverser les lois, ni ébranler ce qui est honnêtement établi par l'usage, ni affliger ton prochain, ni fatiguer ton
corps, ni gaspiller les moyens nécessaires à l'existence, tu peux suivre ton impulsion à ta guise.
Il est
impossible de ne pas commettre une au moins de ces choses, car les plaisirs de l'amour ne nous ont jamais
servi, il faut s'estimer heureux s'ils ne nous nuisent pas.
[...]
Quand on n'a plus l'occasion de voir l'objet bien-aimé, quand les relations intimes et le commerce cessent, la
passion amoureuse s'affaiblit.
» Epicure, « Maximes ».
Epicure énumère les conditions d'un désir légitime, tant dans les domaines de la législation, des conventions
sociales, de la morale, que de la santé et de l'économie.
Mais il s'agit là d'une formule de rhétorique ; une telle
somme d'exigences s'avère être une gageure, ou plutôt l'exposé des griefs d'Epicure envers la passion ;.
»
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