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Faut-il juger les hommes sur leurs possibilités, leurs intentions ou leurs actes

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« Faut-il juger les hommes sur leurs possibilités, leurs intentions ou leurs actes ? Introduction.

— « Ne jugez pas », nous dit l'Évangile.

Mais, inutile de le dire, même limitée au domaine des relations humaines, cette interdiction ne saurait être absolue.

Bien souvent, en effet, l'homme a, non seulement le droit, mais encore le devoir de juger les actions de certains de ses semblables sinon ses semblables eux-mêmes.

C'est le cas du juge, du professeur et de l'examinateur, du chef du personnel et du directeur d'une entreprise, de nous tous qui ne pouvons pas nous lier avec quelqu'un sans nous être assurés de sa valeur morale...

Cette dernière catégorie de jugements, qui semble ne poser aucun problème, est celle qui se révèle le plus attentatoire à la dignité humaine : alors, en effet, ce n'est pas sur le comportement extérieur que nous nous prononçons, mais sur la personne ellemême dans le mystère de son intimité. On ne peut donc pas se passer de juger ses semblables.

Mais sur quoi les juger ? Sur leurs possibilités, sur leurs intentions ou sur leurs actes ? La réponse doit varier, suivant la situation tant de celui qui juge que de celui qui fait l'objet de ce jugement. I.

— DANS LES ENTREPRISES Le cas le plus simple semble bien être celui du chef d'entreprise qui doit tenir compte, avant tout sinon exclusivement, du rendement de son personnel, c'est-à-dire, au fond, des actes. Sans doute, quand il embauche un nouvel ouvrier, il ne l'a pas vu au travail, et il l'engage d'après ses possibilités. Mais ces possibilités il les connaît par des actes antérieurs, d'après les emplois occupés et les déclarations des employeurs.

Le cas du débutant, il est vrai, constitue une certaine exception, du moins s'il est engagé avant l'apprentissage : on ne peut guère, en effet, considérer comme des « actes », les exercices préparatoires au C.A.P. Aussi ces débutants sont-ils d'ordinaire pris à l'essai : c'est d'après ce qu'ils feront durant cette période — d'après des actes — qu'on les jugera. Quant aux intentions, un chef d'entreprise pourrait bien craindre d'introduire chez lui un individu mandaté pour susciter des troubles.

Hypothèse peu vraisemblable et qui, dans la plupart des cas, ne se présente pas à l'esprit.

On sait bien ce que désirent les travailleurs : un emploi stable et rémunérateur ; désir légitime et que la généralité des employeurs voudrait satisfaire. Ce sont donc les actes, c'est-à-dire le rendement qu'ils doivent considérer. On pourrait objecter, il est vrai, que l'entrepreneur en question juge, non ses semblables, mais des ouvriers ou plutôt leur travail.

Aussi ne nous attardons-nous pas à l'examen de ce cas. II.

— AU TRIBUNAL Le juge, lui aussi, doit se prononcer d'après les actes.

Il n'a pas à connaître de ce qui s'est passé seulement dans la conscience de l'accusé, de crimes commis en imagination, de désirs coupables, de rêveries malsaines.

Ne relèvent de son jugement que les violations matérielles de la loi. Toutefois il faut qu'il tienne compte également des intentions et des possibilités. Des intentions.

Il est bien évident en effet qu'un acte délictueux accompli pour rendre service à un autre n'a pas la gravité du même acte inspiré par le désir de nuire.

Ou encore qu'un acte accompli sans le vouloir n'est pas punissable : le juge peut seulement condamner son auteur à la réparation du préjudice causé. Des possibilités.

Se tournant vers le passé, le juge doit examiner si l'inculpé ne se trouvait pas, à l'époque du crime, dans des conditions matérielles ou morales qui lui rendaient difficile ou même impossible l'observation de la loi. Ensuite, tourné vers l'avenir, il lui faut se demander ce qu'on peut attendre de celui qu'il va condamner : les peines prononcées seront bien différentes suivant qu'il escomptera un revirement ou au contraire un retour probable aux habitudes d'hier. Les réflexions que nous venons de faire sur les jugements des tribunaux valent dans une grande mesure pour les éducateurs qui, en famille ou à l'école, ont à prendre des sanctions.

Il y a cependant, entre les deux situations, une différence très importante.

En effet, le juge doit, avant tout, protéger l'ordre public : 'les sentences qu'il prononce, les sanctions qu'il édicte sont avant tout défensives et en second lieu seulement éducatives.

Chez les éducateurs, au contraire — ce titre même l'exige — le souci éducatif doit primer.

Or l'éducation morale prime toutes les autres. Les éducateurs doivent donc, en jugeant les jeunes qui leur sont confiés, s'inspirer de l'attitude des moralistes, pratiquement de la conduite des directeurs de conscience et des confesseurs. III.

- EN MORALE A l'inverse du juge, le moraliste tient compte des actes, mais c'est surtout d'après les intentions et les possibilités qu'il forme son jugement. Il ne peut pas faire abstraction des actes.

Ils constituent en effet la donnée la plus certaine et bien souvent la seule certaine : il est si difficile de déterminer les possibilités et si facile de s'illusionner sur les intentions ! D'ailleurs c'est d'après certaines réalisations effectives que nous conjecturons le possible ; c'est encore en se référant à la conduite réelle que le moraliste contrôle l'authenticité des intentions mises en avant. Toutefois, une fois suffisamment connues les possibilités et les intentions de celui sur lequel il a besoin de porter une appréciation morale, c'est d'après elles, plus que d'après les actes, qu'il doit se faire une opinion. Aujourd'hui, on prône beaucoup le dépassement.

Certains comprennent peut-être qu'il faut dépasser les autres.

Mais il y aurait là plus d'orgueil que de vertu authentique : celle-ci consiste à se dépasser soi-même, c'est-à-dire à faire. »

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