Faut-il fixer des limites a l'esprit critique ?
Extrait du document
«
La critique se détruit elle-même
L'esprit critique consiste à examiner librement toutes les idées que l'on nous
soumet afin de déterminer en raison si elles sont vraies ou fausses.
Toutefois, l'esprit ne doit pas être critique au point de n'admettre aucune
vérité, au point de tomber dans un scepticisme absolu qui rendrait tout
raisonnement et toute connaissance impossibles.
En effet, toute opinion étant relative, « L'homme est la mesure de toute
choses » formule qu'Anatole France interprétait ainsi : « L'homme ne
connaîtra de l'univers que ce qui s'humanisera pour entrer en lui, il ne connaîtra jamais que l'humanité des choses.
»
Toute affirmation sur l'univers est relative à celui qui affirme.
Socrate résume la thèse de Protagoras : « N'arrive-t-il
pas parfois qu'au souffle du même vent l'un de nous frissonne et non l'autre ? Or que dirons-nous alors de ce souffle
de vent envisagé tout seul et par rapport à lui-même ? Qu'il est froid ou qu'il n'est pas froid ? Ou bien en croironsnous Protagoras : qu'il est froid pour qui frisonne et ne l'est pas pour qui ne frisonne pas ? » (« Théétète », 152b).
L'affirmation sur un même objet diffère non seulement d'un individu à un autre mais chez le même individu selon les
moments (le monde ne m'apparaît pas de la même façon quand je suis gai ou triste) et même selon les perspectives
d'observation (une tour vue carrée de près paraît ronde de loin).
Pour les sceptiques il n'y a pas de vérités
objectives mais seulement des opinions subjectives toutes différentes.
Puisque, s'il est vrai que tout est vrai, le contraire de cette affirmation ne saurait être faux, le relativisme trouve sa
vérité dans le scepticisme.
Dire que tout est vrai, c'est dire tout aussi bien que tout est incertain et que rien ne
peut être dit vrai.
Il apparaît que le scepticisme comme le relativisme est une position intenable.
Dès qu'il se dit il se contredit.
La critique peut être stérile
Critiquer, c'est aussi porter un jugement négatif sur quelque chose.
Or, une critique trop systématique peut être
stérile.
L'homme étant par nature imparfait, toutes ses idées et toutes ses réalisations sont susceptibles de déplaire
par certains côtés.
Il arrive un moment où la critique doit cesser et où il faut, malgré les défauts qui subsistent,
donner son assentiment.
Certains principes sont intangibles
Certaines valeurs morales ou politiques doivent demeurer intangibles et être soustraites à la critique.
La démocratie,
la défense des libertés individuelles, le respect d'autrui, la dignité de la personne sont des principes qui ne doivent
pas être remis en question.
La critique peut servir de prétexte à des attaques insidieuses de la part des ennemis de
ces principes.
Malebranche dira: "Je vois, par exemple, que 2 fois 2 font 4, et qu'il faut préférer son ami à son chien, et je suis
certain qu'il n'y a point d'homme au monde qui ne le puisse voir aussi bien que moi.
Or, je ne vois point ces vérités
dans l'esprit des autres, comme les autres ne les voient point dans le mien.
Il est donc nécessaire qu'il y ait une
raison universelle qui m'éclaire et tout ce qu'il y a d'intelligence.
Car si la raison que je consulte n'était pas la même
qui répond aux Chinois, il est évident que je ne pourrais pas être aussi assuré que je le suis, que les Chinois voient
les mêmes vérités que je vois.
Ainsi la raison que nous consultons quand nous rentrons dans nous-mêmes, est une
raison universelle.
Je dis quand nous rentrons en nous-mêmes, car je ne parle pas ici de la raison que suit un homme
passionné.
Lorsqu'un homme préfère la vie de son cheval à celle de son cocher, il a ses raisons, mais ce sont des
raisons particulières dont tout homme raisonnable a horreur.
Ce sont des raisons qui dans le fond ne sont pas
raisonnables, parce qu'elles ne sont pas conformes à la souveraine raison, ou à la raison universelle que tous les
hommes consultent."
La critique est essentielle à la pensée
Le premier principe de la méthode établie par Descartes dans son Discours
de la méthode est «de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne
la connusse évidemment être telle; c'est-à-dire d'éviter soigneusement la
précipitation et la prévention».
Pour bien penser, il faut d'abord n'accepter
aucune vérité sans la soumettre à un examen critique.
Mais le doute de
Descartes est provisoire et non sceptique, et, a pour but de trouver une
certitude entière & irrécusable.
On le sait cette certitude sera celle du cogito.
On sait que les « Méditations » de Descartes commencent, elles aussi, par l'exercice d'un doute absolu : Descartes
rejette le témoignage des sens (en rêve on croit voir, entendre, bouger et ce n'est qu'illusion).
Il rejette même les
vérités mathématiques (car il peut se faire qu'un « malin génie » tout-puissant s'amuse à me tromper dans toutes
mes pensées).
Mais ce doute cartésien s'oppose radicalement au doute sceptique.
D'abord le doute cartésien est provisoire (il
prend fin lorsque Descartes s'aperçoit qu'il peut douter de tout sauf du fait même qu'il pense et qu'il doute : et
cette évidence invincible : je pense donc je suis est une première vérité d'où bien d'autre vont jaillir).
C'est un doute volontaire, un doute « feint », dit Descartes dont la fonction est d'accoutumer « l'esprit à se
détacher des sens » (« abducere mentem a sensibus ») et même de tout objet de pensée pour révéler en sa pureté
l'acte même de penser.
Le doute cartésien a la valeur d'une pédagogie de l'ascèse qui vise à nous délivrer
provisoirement des pensées pour révéler que nous avions l'esprit que nous sommes.
Le doute cartésien est
méthodique (le malin génie n'est lui-même qu'un « patin méthodologique » (Gouhier), c'est une technique mise au
service de la recherche du vrai..
»
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