Faut-il fixer des limites à l'esprit critique ?
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«
Dans un sens général, la critique s'oppose ici à la crédulité.
Avoir un esprit critique c'est ne pas ne pas accepter,
sans faire preuve de jugement, ce qu'on voit ou encore ce qu'on nous dit.
Dans ces conditions, on saisit
difficilement comment on pourrait fixer des limites à l'esprit critique, comment on pourrait revendiquer à certains
moment une forme de crédulité.
Vous pouvez ici montrer comment toute la réflexion philosophique se constitue
contre toute acceptation d'opinion, de préjugé et tout forme de croyance immédiate.
Il s'agit dès lors de s'interroger
à savoir si l'esprit critique peut s'étendre à tous les domaines, s'il ne peut rencontrer parfois des limites.
L'exercice
critique du jugement peut-il s'appliquer dans tous les domaines ? N'y a-t-il pas des champs dans lesquels seule la
croyance peut avoir un sens.
Pensez par exemple à la religion.
En quel sens peut-on parler d'esprit critique dans le
domaine religieux ? Se pose alors la question des limites ici d'un usage critique de la raison.
Vous pouvez alors
penser aux analyses de Kant dans la Critique de la raison pure lorsqu'il opère une distinction entre le savoir et la
croyance.
Il nous dit ainsi, dans la préface de la seconde édition : « J'ai fait sa place au savoir, j'ai fait sa place à la
croyance ».
Il s'agit alors de montrer que la raison qui prétend connaître en dehors du champ de l'expérience
possible, en dehors de ses limites, tombe dans l'illusion.
Pour autant, s'agit-il de croire tout et n'importe quoi ? Il
faut alors vous demander ici quel sens on doit accorder au terme de limite.
En effet, parler de limite dans ces
conditions ne revient peut être pas à dire qu'il s'agit d'être totalement crédule et de tout accepter mais bien plutôt
que l'esprit critique ne peut s'exercer partout ce qui n'implique pas nécessairement de ne pas en avoir conscience.
La critique se détruit elle-même
L'esprit critique consiste à examiner librement toutes les idées que l'on nous soumet afin de déterminer en raison si
elles sont vraies ou fausses.
Toutefois, l'esprit ne doit pas être critique au point de n'admettre aucune vérité, au
point de tomber dans un scepticisme absolu qui rendrait tout raisonnement et toute connaissance impossibles.
En effet, toute opinion étant relative, « L'homme est la mesure de toute choses » formule qu'Anatole France
interprétait ainsi : « L'homme ne connaîtra de l'univers que ce qui s'humanisera pour entrer en lui, il ne connaîtra
jamais que l'humanité des choses.
» Toute affirmation sur l'univers est relative à celui qui affirme.
Socrate résume la
thèse de Protagoras : « N'arrive-t-il pas parfois qu'au souffle du même vent l'un de nous frissonne et non l'autre ?
Or que dirons-nous alors de ce souffle de vent envisagé tout seul et par rapport à lui-même ? Qu'il est froid ou qu'il
n'est pas froid ? Ou bien en croirons-nous Protagoras : qu'il est froid pour qui frisonne et ne l'est pas pour qui ne
frisonne pas ? » (« Théétète », 152b).
L'affirmation sur un même objet diffère non seulement d'un individu à un
autre mais chez le même individu selon les moments (le monde ne m'apparaît pas de la même façon quand je suis gai
ou triste) et même selon les perspectives d'observation (une tour vue carrée de près paraît ronde de loin).
Pour les
sceptiques il n'y a pas de vérités objectives mais seulement des opinions subjectives toutes différentes.
Puisque, s'il est vrai que tout est vrai, le contraire de cette affirmation ne saurait être faux, le relativisme trouve sa
vérité dans le scepticisme.
Dire que tout est vrai, c'est dire tout aussi bien que tout est incertain et que rien ne
peut être dit vrai.
Il apparaît que le scepticisme comme le relativisme est une position intenable.
Dès qu'il se dit il se contredit.
La critique peut être stérile
Critiquer, c'est aussi porter un jugement négatif sur quelque chose.
Or, une critique trop systématique peut être
stérile.
L'homme étant par nature imparfait, toutes ses idées et toutes ses réalisations sont susceptibles de déplaire
par certains côtés.
Il arrive un moment où la critique doit cesser et où il faut, malgré les défauts qui subsistent,
donner son assentiment.
Certains principes sont intangibles
Certaines valeurs morales ou politiques doivent demeurer intangibles et être soustraites à la critique.
La démocratie,
la défense des libertés individuelles, le respect d'autrui, la dignité de la personne sont des principes qui ne doivent
pas être remis en question.
La critique peut servir de prétexte à des attaques insidieuses de la part des ennemis de
ces principes.
Malebranche dira: "Je vois, par exemple, que 2 fois 2 font 4, et qu'il faut préférer son ami à son chien, et je suis
certain qu'il n'y a point d'homme au monde qui ne le puisse voir aussi bien que moi.
Or, je ne vois point ces vérités
dans l'esprit des autres, comme les autres ne les voient point dans le mien.
Il est donc nécessaire qu'il y ait une
raison universelle qui m'éclaire et tout ce qu'il y a d'intelligence.
Car si la raison que je consulte n'était pas la même
qui répond aux Chinois, il est évident que je ne pourrais pas être aussi assuré que je le suis, que les Chinois voient
les mêmes vérités que je vois.
Ainsi la raison que nous consultons quand nous rentrons dans nous-mêmes, est une
raison universelle.
Je dis quand nous rentrons en nous-mêmes, car je ne parle pas ici de la raison que suit un homme
passionné.
Lorsqu'un homme préfère la vie de son cheval à celle de son cocher, il a ses raisons, mais ce sont des
raisons particulières dont tout homme raisonnable a horreur.
Ce sont des raisons qui dans le fond ne sont pas
raisonnables, parce qu'elles ne sont pas conformes à la souveraine raison, ou à la raison universelle que tous les
hommes consultent.".
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