Faut-il faire confiance au langage ?
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«
Il s'agit dans un premier temps de se demander ce qu'est le langage.
On peut considérer à l'instar de Descartes qu'il est le moyen que
les hommes ont de communiquer entre eux leurs pensées.
Le langage serait donc un moyen de communication, un code établi entre les
individus.
Or, si le langage permet aux hommes de se transmettre des informations, il faut nécessairement le distinguer de la
communication animale.
En effet, même s'il existe une certaine communication entre les animaux d'une même espèce, celle-ci reste très
limitée et comme figée par leurs instincts et leurs besoins vitaux.
Ce qu'ils échangent n'est donc pas de l'ordre de la pensée.
Or, c'est
bien la pensée qui est exprimée dans le langage.
De plus, cette faculté proprement humaine suppose qu'on puisse s'exprimer « à propos de choses qui se présentent » (Descartes, Discours
de la méthode ), et ce, même de manière différée.
On peut par exemple exprimer par le langage une douleur passée.
L'homme a donc la
capacité d'évoquer, par le langage, des choses en leur absence.
Mais en étant un médiateur entre nous et le monde, le langage ne peut-il pas, de ce fait, devenir une source d'erreurs ou d'abus ? Car s'il
est vrai que seuls les hommes parlent, il est tout aussi vrai que tous les hommes parlent, c'est à dire que chaque société, en se
constituant, adopte un langage qui lui est propre.
Or s'il y a diversité de langues, il y a nécessairement pluralité de sens.
Dès lors,
comment affirmer avec certitude que ce que nous exprimons est conforme à ce que nous pensons où voulons exprimer ? Il s'agit donc
d'essayer de comprendre quelles sont les limites du langage.
I/ Les mots ne peuvent dire la réalité des choses
En s'immisçant entre nous et les choses, les mots peuvent-ils vraiment rendre compte de ce que nous voulons exprimer et même de ce
que nous ressentons intimement ?
Pour Bergson, la réponse est sans appel : le langage, en tant qu'ensemble de signes trop généraux, ne
peut exprimer la chose elle-même car « il ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son
aspect banal » (Le rire)
De plus, le langage ne se contente pas de déformer les objets du monde ; il nous leurre sur notre
individualité même, sur notre identité psychique qui, loin de nous être dévoilée telle qu'elle est, ne nous
est donnée que dans son « déploiement «extérieur ».
De fait, la diversité et la complexité des
sentiments par exemple ne sauraient être exprimés avec exactitude par les seuls mots.
La conception
nietzschéenne du langage se rapproche de la pensée de Bergson dans la mesure où le philosophe
considère que le langage a tendance à morceler la vie psychique.
« Les mots et les idées nous mènent
maintenant encore à nous représenter constamment les choses comme plus simples qu'elles ne sont,
séparées les unes des autres [ …] » (Humain, trop humain, 2ème partie)
Ainsi, pour Bergson comme pour Nietzsche, le langage est trompeur dans la mesure où il ne désigne que
de façon très générale et imprécise les objets qu'il nomme.
II/ Hobbes : du bon usage aux abus du langage
Hobbes, au chapitre IV du Léviathan, définit la parole comme un acte
individuel par lequel s'exerce la fonction du langage, comme la
faculté d'exprimer sa pensée par des mots.
Il distingue ensuite les
usages fondamentaux de la parole et des mots, à savoir leur
capacité à exprimer la réminiscence d'une part, et la possibilité
d'exprimer toutes sortes de passions (dans le sens ici de phénomènes passifs de l'âme tels que le
désir, la crainte, l'espoir…).
Mais la parole n'est pas seulement, pour Hobbes, un outil de réminiscence et de communication
sociale.
Il peut aussi être source d'abus et d'erreurs liés au mauvais usage des mots mêmes.
Il
apparaît donc nécessaire d'établir des définitions rigoureuses des mots.
« C'est donc sur la définition
correcte des dénominations que repose le premier usage de la parole, qui est l'acquisition de la
science.
Et c'est sur les définitions incorrectes ou dans l'absence de définitions que repose le premier
abus.
»
En effet, la vérité ne tient pas aux choses mais appartient davantage à la désignation des choses par
un nom.
La vérité est donc, pour Hobbes intimement liée au discours, à la parole, mais du bon usage
de celle-ci.
III/ Les sophistes et le pouvoir subversif de la rhétorique
Mais au delà des abus de langage, essentiellement nuisibles à une juste compréhension ou
connaissance vraie des choses, se pose le problème de l'abus de pouvoir nourri par un usage détourné du langage, lequel peut constituer
un véritable danger pour l'individu où le peuple.
Le pouvoir des mots, c'est ce que les sophistes de l'Antiquité ont cherché à maîtriser en en faisant un savoir et une pratique : la
rhétorique.
Or, Platon, dans le Gorgias, va s'interroger sur cet art des effets de langage en confrontant Socrate au sophiste Gorgias.
Ce dernier définit
la rhétorique comme l'art de maîtriser le langage mais surtout comme art des effets du discours sur les autres.
C'est donc précisément cette maîtrise du langage et de ses effets sur autrui qui confère du pouvoir à celui qui la possède.
« En possession
de ce pouvoir-là, du médecin tu feras ton esclave ».
En effet, et Gorgias ne s'en cache pas, la rhétorique, permet de « persuader la
multitude ».
Or c'est bien la persuasion qui constitue ici un instrument de pouvoir, c'est à dire de domination, de séduction, voire de soumission ;
pouvoir que Socrate dénonce car c'est lui qui est susceptible de mettre la démocratie athénienne en danger.
Conclusion
-
Selon Bergson les mots, en ne désignant les choses que de manière générale et souvent imprécise ne définissent l'objet
(objet du monde ou identité psychique) que partiellement et peuvent donc être la source de nombreuses erreurs.
Pour Hobbes, le langage peut nous permettre d'accéder à la vérité si et seulement si l'usage que nous en faisons est
rigoureux.
L'erreur vient en effet d'une mauvaise dénomination des choses et non des choses elles-mêmes.
Enfin, l'art de la rhétorique, notamment des sophistes de l'Antiquité, nous dévoile, à travers le pouvoir de persuasion à quel
point le langage peut être un danger pour la société..
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