Faut-il faire confiance au langage ?
Extrait du document
«
La confiance est affaire de serment, de parole donnée et tenue.
Si on ne fait pas confiance au langage dans
lequel se tient cette parole, à quoi faire confiance ? Le langage n'est-il pas à l'origine de toute confiance ? Si l'on ne
peut faire confiance aux mots, faut-il perdre toute confiance ? Faire confiance à quelque chose, c'est croire en ce
qu'est et fait cette chose, pouvoir s'appuyer sur elle "sur parole", sans vérification.
Sur quoi se fonde cette
confiance ? Existe-t-il une confiance instinctive dans le langage, infondée et ininterrogée ? On est plongé dans une
langue qu'on ne choisit pas, et dans un langage à propos duquel il n'y a aucun choix possible.
Le langage est pour Freud l'un des lieux où, à travers la répression des pulsions du ça, percent parfois ces pulsions à
l'occasion d'un relâchement de cette censure.
Lapsus linguae : glissement de la langue.
Il faudrait distinguer entre
l'usage normal de la langue (répressif, peu digne de foi) et les usages déviants : le lapsus, le délire, tout ce qui est
présenté comme sortie hors du sens commun, et qui est en fait le plus digne de foi.
Encore faut-il interpréter ces
escapades, ce qui est de loin le plus difficile.
De même pour le surréalisme en poésie, qui à la suite de Rimbaud
attribue une valeur révélatrice à un langage non contrôlé : traduire le délire poétique dans un langage ordinaire,
c'est le trahir.
Pourtant c'est le seul moyen de faire quelque chose de cette confiance accordée aux usages
déviants du langage : sans cela, ils restent hors du vrai et du faux, inopérants.
Plutôt que de déterminer dans la
parole, à la manière de Freud ou de certains poètes, des usages menteurs (qui se veulent vrais) et des usages
dignes de foi (ceux qui sont au-delà du vrai, semble-t-il), ne vaut-il pas mieux distinguer les rapports de l'auditeur à
l'outil linguistique : une confiance forcée (parce qu'il n'y a rien d'autre) mais informée des pièges et des limites de
l'outil n'est-elle pas plus bénéfique qu'une confiance aveugle ? Relisons Montaigne, car il a tout dit : que le langage
ne compte pas, et qu'il n'est rien qui compte davantage.
Si, d'une de ces affirmations à l'autre, il y a simplement
contradiction nous pouvons passer & n'en retenir aucune.
Si, au contraire, elles doivent être retenues toutes les
deux, alors leur tension même peut définir le cadre dans lequel inscrire une réflexion sur le langage.
Montaigne est toute méfiance envers les discoureurs.
Deux architectes soumettaient leur projet aux Athéniens, qui
devaient choisir entre eux.
« Le premier, plus affété, se présenta avec un beau discours prémédité sur le sujet de
cette besogne, et tirait le jugement du peuple à sa faveur.
Mais l'autre, en trois mots : seigneurs Athéniens, ce que
celui-ci a dit, je le ferai .» (« Essais », I, XXVI).
Qui préférer ? le beau parleur dont les discours captieux dissimulent
peut-être l'incompétence technique sous le faux-semblants des promesses, ou le second, qui sait que l'important
est dans ce qu'on fait, non dans ce qu'on dit et qui, du seul fait qu'il déclare qu'il le sait, s'engage à mener à bien le
projet qu'il présente ? La préférence de Montaigne en tout cas est claire.
« Je veux, dit-il plus loin, que les choses
surmontent, et qu'elles remplissent de [telle] façon l'imagination de celui qui écoute, qu'il n'ait aucune souvenance
des mots.
» Le langage remplit sa fonction quand il se fait oublier ; quand il prend l'avantage, quand il « surmonte »,
le pire peut arriver.
De ces réflexions, Montaigne ne conclut toutefois pas que le langage n'a pas d'importance.
Bien au contraire,
comme l'indique la vigueur avec laquelle il condamne le mensonge.
« En vérité, le mentir est un vice maudit.
Nous ne
sommes hommes , et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole ».
Tel est le langage naviguant entre mensonge & vérité, entre mirage & miracle, entre confiance et défiance.
La pensée est-elle exprimable par les mots ?
Nous avons vu qu'il n'y a pas de pensée sans langage.
Mais qui n'a pas fait l'expérience de « chercher ses
mots » ?
Cette expérience témoigne de l'existence d'une pensée antérieure à la parole, d'une antériorité à la fois de temps et
de causalité.
Il y a là quelque chose que nous pensons comme un « encore à dire », une sorte de pensée antérieure
à tout discours, même intérieur.
Tantôt nous ne trouvons pas les mots pour le dire soit parce que, jusqu'à présent,
cela n'a pas encore été dit et qu'il faudrait avoir recours à des mots nouveaux, soit parce que notre pensée refuse
de faire surface et d'émerger des profondeurs de l'esprit.
Tantôt nous trouvons les mots, mais, une fois ceux-ci
trouvés, nous avons le sentiment que le langage a pacifié notre pensée, qu'il l'a faite passer à l'être et au repos,
voire qu'il l'a pétrifiée.
Dans le langage, notre pensée a son « domicile », elle se possède elle-même ; la pensée est un désir que le langage
satisfait, mais cette satisfaction ne peut être que provisoire.
Dans la mesure où le mouvement tend vers le repos, la
volonté vers l'habitude, la satisfaction du mot est provisoire puisque le mot est fixe tandis que la pensée est
dynamique.
Le mot réalise donc la pensée, lui donne une extériorité mais en même temps il la réalise sous une forme particulière
qui va exclure d'autres formes.
Le mot n'est qu'une des possibilités de la pensée, il n'est qu'un vêtement.
Le mot est
plat, précis, net déterminé et n'a aucune auréole.
La pensée est toujours plus nuancée, plus riche.
La pensée est
toujours plus profonde que le langage.
Il y a donc un ineffable qui n'est pas seulement le monde du coeur ou des
sentiments mais qui est aussi la pensée –cette pensée qui ne peut être traduite par les mots.
(a) Le langage comme inconvénient.
¨
Bergson et le mot-étiquette.
Le langage n'est-il qu'une médiation, un obstacle, entre langage et pensée, langage & réalité, ou peut-il se
comporter en intermédiaire fidèle ? N ‘arrivons-nous à penser qu'en dépit des mots, que malgré le langage ?.
»
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