Faut-il éviter les querelles de mots ?
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«
Introduction
Il peut arriver que deux personnes se querellent en raison d'un mot mal compris ou d'une expression interprétée de
travers.
Une fois réconciliées, elles affirmeront volontiers que ça n'en valait pas la peine.
Est-ce si sûr?
I.
Raisons des querelles
— Si l'on peut ne pas s'entendre sur les mots, c'est parce que leur sens n'est jamais clos ou univoque.
Il dépend par
exemple:
• du niveau de langue utilisé:
ex.
: « imbécile » peut avoir un sens clinique pour le psychologue, et presque injurieux dans le langage courant;
• du contexte culturel et idéologique:
ex.
: variabilité de termes comme « liberté », « nationalisme », «révolution» en fonction des partis-pris des
interlocuteurs.
— On peut se référer à la théorie contextuelle du signifié.
Wittgenstein: «un mot n'a pas de signification, il n'a que
des usages».
— De surcroît, importance des biographies individuelles (et des inconscients!): certains termes acquièrent des
connotations singulières.
Dès lors la réaction d'un locuteur par rapport à un mot peut être très différente de la
réaction d'un autre: même s'ils entendent le même mot et s'ils croient le comprendre à peu près de la même façon,
leur affectivité provoque des résonances différentes.
II.
Leurs enjeux implicites
— On peut admettre que les querelles de mots font l'histoire même de la philosophie.
C'est par cela qu'elle
commence avec Socrate: ce que les Athéniens appellent «vertu» n'est pas satisfaisant et il faut définir autrement le
terme...
et chaque philosophe tente de fixer le sens d'un terme en se distinguant de ses prédécesseurs (mais ses
successeurs construiront encore différemment la définition du même concept).
Ex.: «vérité» change de sens de Platon à Aristote, puis à Descartes, puis à Kant, etc.
«Liberté» se modifie dès que
l'on change de contexte philosophique (Hegel — Marx).
— La querelle de mots implique donc une querelle entre des théories ou des idéologies — y compris quand les gens
n'en ont pas conscience (dans leur langage ils véhiculent des retombées plus ou moins authentiques de systèmes
philosophiques).
— En apparence, la situation est plus simple dans les discours scientifiques puisque les concepts y pourraient être
définis de façon univoque.
Mais
• on constate que dans l'histoire d'une science, le concept est variable (cf.
les différents systèmes géométriques:
qu'est-ce qu'un triangle? selon Euclide, Lobatchewski, Riemann);
• le savoir scientifique lui-même reste toujours aux prises avec des termes fondamentaux qui provoquent des
divergences théoriques.
Qu'est-ce que la vérité? qu'est-ce que la réalité?
• un concept scientifique est une sorte de condensé de théories.
Lorsqu'il y a plusieurs théories en présence, le
concept reste en conséquence un élément en discussion.
III.
Les mots ou la violence?
— Les querelles de mots n'ont donc pas que des aspects négatifs: elles sont très capables de faire avancer le
savoir.
Tout concept demande à être analysé, décortiqué, mis à plat pour qu'on puisse en expliciter les éléments de
signification, et en faire le tri.
De ce point de vue, un concept reste toujours modifiable — non seulement en raison
de l'évolution (lente) de la langue, mais aussi à cause des implications qu'il véhicule sans qu'on en prenne bien
conscience, et en raison des modifications historiques de son contexte.
— Parce que les mots définissent un ordre symbolique, de re-présentation des choses, ils diffèrent dans un premier
temps le contact direct avec celles-ci.
Ce qui signifie que la querelle de mots est un recours contre la violence: là
où les mots font défaut, ne reste d'espace que pour les gestes, éventuellement agressifs.
— Le locuteur a donc le choix:
• soit de continuer à parler, même dans le désaccord — mais avec l'espoir d'arriver à une entente un jour;
• soit de se taire pour laisser libre jeu à la violence.
Conclusion
Les querelles de mots constituent pour la pensée un moyen d'avancer (à condition bien entendu que la querelle
trouve sa conclusion): si elles témoignent d'abord d'une difficulté dans la communication et l'expression, elles offrent
la possibilité de gagner en précision et en rigueur.
Comme d'autre part elles suspendent la violence, on aurait tort de
croire qu'il faut les éviter.
L'exigence de lucidité et d'un savoir bien constitué entraîne l'obligation de travailler en
permanence les concepts — si cela aboutit à des querelles, on ne doit les considérer que comme un détour
nécessaire pour atteindre une réconciliation (momentanée).
N.B.
Selon les connaissances particulières des candidats, rien n'interdit d'emprunter des exemples à des domaines
spécialisés (qu'est-ce que le réalisme en art? faut-il parler d'art «abstrait» ou d'art «concret»? Comment définir ce
que peut, en tant que forme littéraire, être un roman? etc.)..
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