Faut-il écouter sa conscience ?
Extrait du document
«
Analyse:
- Nous utilisons parfois l'expression commune « Écoute ta conscience » en guise de conseil à celui qui se trouve
face à un choix crucial.
Elle est alors équivalente à l'expression « Écoute ton coeur ».
Nous faisons alors référence
à une instance (la conscience ou le cœur) qui serait présente en chacun de nous et qui serait capable de nous
indiquer la juste décision.
Cette expression repose donc sur une conception spécifique de la conscience (comme
connaissance intérieure des bons principes de jugement), adjointe à une dévalorisation de toutes les raisons
pouvant venir de ce qui est plus « extérieur »: les conseils d'autrui, les manières d'agir répandue autour de nous, les
raisonnements argumentés.
La vérité nous apparaîtrait avec évidence lorsque nous nous retournons vers nous même
et que nous interrogeons notre cœur.
- Cette conception de la conscience est-elle philosophiquement justifiable? Nous nommons conscience la capacité
de veille, d'attention à la fois au monde et à nous-même (réflexion).
En ce sens, la conscience n'est qu'une faculté
théorique: elle nous permet de comprendre mais en aucun cas de juger du bon ou du mauvais.
Cette seconde
capacité est propre à la conscience entendue en un autre sens: celui de conscience morale.
C'est donc cette
conscience que nous devons interroger: possédons-nous véritablement une faculté pratique qui serait capable de
nous indiquer le bon choix ou l'action juste?
- D'un côté, il semble que ce soit bien là le rôle de la conscience morale: elle est cette faculté de juger du bon et
du mauvais à l'aide de laquelle nous nous orientons et nous agissons dans le monde.
Cependant, si la conscience se
prononce bien sur le bon et le mauvais, qu'est-ce qui nous permet de dire qu'elle ne se trompe jamais? Autrement
dit, pourquoi faudrait-il avoir davantage confiance dans le jugement de sa conscience que dans celui d'une autre
instance (le jugement d'autrui ou les mœurs communes, par exemple)? Pour justifier cette position, il faut supposer
que la conscience connaît de manière immédiate les principes justes.
Ainsi ses jugements, et les siens uniquement,
ont la garantie d'être toujours justes.
Problématique:
Qu'est-ce que la conscience, entendue comme conscience morale? Est-ce une faculté pratique en laquelle serait
inscrite les principes vrais, au quel cas nous pouvons bien affirmer qu'il faut « écouter sa conscience »? Ou bien
est-ce une instance dont les principes sont autant contingents et déterminés que ceux d'une autre, au quel cas il
n'y aurait aucune raison d'écouter sa conscience plutôt qu'autrui, son désir, ou le raisonnement de tel ou tel
penseur?
I) La conscience est une connaissance innée des principes justes.
Pour bien juger, nous devons donc
écouter cette voix intérieure.
- Certaines situations nous révèlent que nous possédons en nous et de manière innée, les principes fondamentaux.
Par exemple, lorsque nous nous indignons spontanément face à une injustice, que nous ne pouvons nous empêcher
d‘éprouver de l‘admiration et du respect face à un acte vertueux, ou encore lorsque nous éprouvons du remord (que
nous avons « mauvaise conscience ») après avoir commis une faute .
C'est ici le signe que nous détenons, en notre
for intérieur (que nous pouvons appeler « conscience » ou « coeur »), ce que Rousseau nomme dans le quatrième
livre de l'Émile des « principes innés de justice et de vertu ».
Précisons les caractéristiques de cette connaissance
innée.
Dans la Profession de foi du vicaire savoyard, Rousseau nomme également cette connaissance innée des
principes « lumière naturelle » ou « sentiment intérieur ».
La conscience représente donc l'inscription en nous de
principes (de jugement et d'action) qui précède toute éducation et tout apprentissage.
Ils se donnent nous pas
sous la forme du raisonnement (on ne les démontre pas), mais du sentiment (ils sont immédiatement sentis).
Pourquoi faudrait-il écouter cette conscience, entendue comme ensemble de principes innés?
- Ces principes sont naturels et se donnent à nous avec évidence.
Bien agir consiste à écouter et à suivre la voie
que nous indique clairement la nature.
Cependant, il est nécessaire de rappeler chacun à sa conscience, car
l'évidence des principes est souvent noyée dans le brouhaha des raisons extérieures: les penseurs en particuliers
viennent remettre en cause les principes naturels par des démonstrations abstruses, qui nous font perdre leur
évidence.
Dans la Profession de foi du vicaire savoyard, par exemple, le vicaire rejette tous les raisonnement des
philosophes matérialistes qui tentent de démontrer que la pensée n'existe pas.
Il invoque pour cela l'évidence de la
lumière naturelle: nous sentons que la pensée existe, et aucun raisonnement ne doit nous faire douter de ce que la
conscience nous livre avec évidence.
- Nous devons donc écouter notre conscience car en elle sont gravés des vérités dont l'agitation du monde nous
fait parfois perdre l'évidence.
« Écouter sa conscience » signifie alors exactement: chercher en son for intérieur les
principes de nos jugements et ne pas nous laisser distraire ou influencer par les raisonnement souvent sophistiques
des penseurs, les opinions dans l'air du temps, etc.
Transition:
Nous avons donc dégager au fond de l'expression « Écoute ta conscience », une conception de la conscience
comme connaissance innée des principes.
Peut-on, maintenant justifier cette conception? Il est indéniable que notre
conscience morale juge à partir de principes qu'elle possède.
Mais d'où viennent-ils? Sont-ils aussi innés et naturels
qu'ils paraissent? Et surtout, peuvent-ils être tenus pour absolument juste?
II) Rien ne nous garantit la justesse des principes de la conscience.
Elle n'est donc pas une instance de
jugement plus légitime qu'une autre..
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