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Faut il déplorer ou se réjouir de vivre en société ?

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« La société : C'est un ensemble d'individus organisés collectivement, de telle manière qu'ensemble ils forment un tout et non pas une simple agrégation d'éléments juxtaposés. I. La société corrompt l'homme C'est la base de la pédagogie naturaliste de Rousseau, qui considère que le progrès des sciences et de la nature ont rendu l'homme vicieux et méchant, en corrompant sa nature intime.

Contre les Encyclopédistes, Rousseau est convaincu de la corruption de la société de son temps.

A ses yeux, le raffinement de la culture et les progrès de la science sont la marque de la dégénérescence de l'humain plus que la promesse d'un avenir radieux.

On s'en souvient, pour Hobbes et la plupart des théoriciens politiques, l'instauration de la société met fin à la guerre de tous contre tous.

Rousseau s'oppose à cette conception : les dirigeants n'ont d'autorité sur le peuple que parce qu'ils détiennent la force et la force n'est jamais le droit.

Il s'ensuit que la société aliène la liberté des humains en leur imposant une hiérarchie qu'ils n'ont pas choisie.

L'homme est né libre, et partout il est dans les fers, écrit Rousseau dans "Du contrat social".

L'auteur s'attache à découvrir les racines de cette perversion de l'humain par la société dans le "Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes".

Rousseau montre dans ce texte - qui se veut une réflexion philosophique et pas une enquête archéologique ou ethnologique que l'humain est bon par nature, et corrompu par la société.

L'homme naturel vit seul, sans pensée ni langage.

Parfaitement libre, il est mu par un instinct de conservation et se satisfait de ce qui lui permet de subsister.

Toutefois, Dieu lui a donné la capacité de se perfectionner, c'est-à-dire de s'adapter à son environnement.

Or, voici que les conditions changent et que l'homme rencontre d'autres humains et se trouve contraint, pour survivre, de s'allier à eux.

De là naissent les besoins de communiquer et d'être reconnu, qui entraînent la création du langage, de l'agriculture et de l'industrie, des arts, de la morale... Hélas, cet âge d'or - où l'homme est proche de sa nature tout en étant cultivé - ne dure pas.

L'artifice prend la place de la nature.

Les inégalités entre les humains s'installent : le langage se fait mensonge, l'être se fait paraître, le raisonnement se fait sophistique, la comparaison devient jalousie, l'amourpropre prend la place de l'amour de soi et de la pitié, et les riches oppriment les pauvres.

Et tout cela est justifié par la prétendue volonté de Dieu ou le faux besoin de lutter contre la méchanceté de l'homme.

Dans l'Emile, Rousseau expose une pédagogie naturaliste qui fait confiance aux tendances spontanées de l'enfant au lieu de le soumettre à des contraintes artificielles.

Il postule donc une sorte d'innocence originelle de l'homme, dont le bon sauvage est le parangon. II. L'insociable sociabilité Pour Freud, au contraire, l'agressivité est constitutive de la nature humaine et la société, dans cette conception, a plutôt un rôle positif : elle régule les pulsions.

La civilisation vise au bonheur des hommes, mais elle repose sur le renoncement aux pulsions instinctives. L'homme a donc une tendance naturelle à l'association, mais il exprime également des forces qui sont un facteur de désagrégation du social.

Kant qualifie d'insociable sociabilité cette nature conflictuelle de l'homme dans sa relation à la société.

C omme lorsqu'il analyse l'amitié, Kant se sert d'une métaphore empruntée à la physique de Newton.

L'univers se meut dans un équilibre entre force d'attraction et de répulsion.

Les hommes d'un côté sont attirés les uns pas les autres, et ils portent en eux une sociabilité, un penchant à entrer en société : « L'homme a une inclination à s'associer, parce que dans un tel état il se sent plus qu'homme, c'est à dire qu'il sent le développement de ses dispositions naturelles ».

C'est au milieu des autres hommes que son humanité se forme et s'épanouit.

La sociabilité n'est pas seulement un penchant à l'altruisme, mais une exigence du développement de la culture.

Le développement des potentialités humaines suppose que l'homme reçoive une éducation.

Un homme éduqué a été poli par son éducation qui l'a rendu civilisé ce qui doit vouloir dire sociable au sens le plus raffiné.

Même l'éducation naturaliste de Rousseau reste une éducation.

Mais l'homme porte aussi en lui une tendance inverse, un penchant à se séparer.

La tendance à l'insociabilité est par contre inscrite dans l'égoïsme, car on ne s'oppose aux autres, que parce que l'on considère seulement ses intérêts propres avant les intérêts de tous.

L'homme en société, voit dans les autres hommes une limite à son pouvoir.

Les passions des hommes le placent dans une contradiction : d'un côté ils cherchent une reconnaissance vis-à-vis des autres, une considération ; et d'un autre côté, les passions referment chaque individu sur ses intérêts propres.

L'insociabilité n'est jamais complète, car l'homme sait bien qu'il ne peut vivre seul, mais la sociabilité est toujours inachevée, car il y a en l'homme une liberté qui s'accommode mal de l'existence même de l'autre homme. L'expression d'Aristote qui qualifie l'homme d' « animal politique » parait donc incroyablement pertinente : un animal grégaire, mais donc un animal, un être de passion. III. L'enfer, c'est les autres La société, elle nous est nécessaire, elle est souhaitable mais l'autre dans la société comme pôle de l'intersubjectivité est souvent ce qui nous pèse le plus.

La société ce n'est pas la famille, ce n'est pas la relation particulière de l'amitié. Ce que l'on paye à l'autre de la société peut nous paraître bien mal compensé par ce que l'on en reçoit.

C e que l'on en reçoit n'a rien d'affectif et on ne le voit pas.

Par contre, ce que cela nous coûte est vivace tous les jours : c'est un regard posé sur nous, un regard étranger qui nous enferme et nous caractérise, alors que ce regard est étranger.

A u plus profond de notre conscience et de notre subjectivité, les autres nous déterminent ; c'est pourquoi l'existence du jugement d'autrui est donc une donnée fondamentale et irréductible.

Mais il est important de remarquer que ce jugement est très manichéen : ce regard peut nous apporter beaucoup de bien personnel mais celui-ci peut aussi nous être intolérable.

Il faut insister sur le fait que cet autre social qui fait dire à l'un des personnages de Sartre que « l'enfer c'est les autres », n'est pas l'autre affectif.

Les personnages de Huis-Clos ne se connaissant pas : leur relation est donc en construction dans le creuset de l'intersubjectivité.

Le garçon de café qui prend la geste du garçon de café, n'est qu'un garçon de café par rapport à moi : il est dans un rôle social.

Le rôle familial n'est pas constitué des mêmes enjeux : là où l'existentialiste peut prendre en charge le pour-autrui social, le psychanalyste est plus à même de prendre en charge l'histoire familiale.

Même l'amitié, telle qu'analysée par Aristote l'analyse (bienveillance réciproque) est radicalement différente de l'expérience de l'autre social.

C'est pourquoi il aurait pu être intéressant que Sartre développe plus avant son projet de psychanalyse existentialiste. Qu'il s'agisse d'attirance, d'hostilité, d'amour ou d'incompréhension, une réflexion sur mon rapport à autrui soulève le problème de ma ressemblance avec lui.

Mais la problématique d'autrui n'est pas celle de la société : je peux me soustraire à l'autre s'il m'agresse.

Un ami me trahit, je romps notre relation d'amitié.

Mais je ne peux me soustraire à la société, sauf à choisir de me retirer en ermite.

Seulement l'ermite ne se retire jamais par haine de la société : la méditation n'est pas refus du monde, elle est bien plutôt l'art de le rejoindre.. »

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