Faut-il croire que l'histoire a un sens ?
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Introduction
Le déclin des idéologies en cette fin du XXe siècle est lié à l'effondrement des millénarismes, des attentes qui leur
donnaient sens.
La foi en un avenir radieux semble perdue, et l'histoire des luttes et des passions qui ont animé les
peuples semble vaine.
Ce désenchantement, cette fin des utopies politiques, s'accompagne d'une crise de l'idée de
sens de l'histoire.
Qu'est-ce qui, dans la tourmente des événements passés, peut laisser deviner une trace de ce
sens, témoigner en faveur de ce sens? Affirmer que l'histoire a un sens n'est-il dès lors que présomption ou
exaltation? Il faut pourtant poser de quelque façon un sens à l'histoire, ne serait-ce que pour rendre intelligible le
passé.
Ce sens, que les faits doivent pouvoir corroborer, est ainsi l'objet nécessaire d'une croyance consciente
imposée par la raison.
De la multiplicité des sens de l'histoire naît ainsi le problème de l'indéterminabilité de ce sens,
qui ne peut trouver de solution que dans l'affirmation d'une croyance rationnelle en un sens de l'histoire.
1.
Les sens de l'histoire
A.
Le sens comme direction
Avant de déterminer les conditions qui permettent de penser le sens de l'histoire, il convient de préciser la
signification de cette expression.
Dire de l'histoire qu'elle a un sens, c'est affirmer avant tout qu'elle est orientée,
dirigée.
Cette orientation semble tout d'abord liée à la transitivité du temps, au fait que le temps s'écoule dans une
direction unique.
L'histoire, dans son acception la plus générale, est la succession des événements s'écoulant du
passé vers le présent, et la désignation des grandes périodes historiques sous les appellations d'Antiquité, de Moyen
Âge, de Temps modernes et d'Époque contemporaine révèle une conception où l'histoire prend le sens d'un progrès
temporel irréversible.
Plus précisément, le sens de l'histoire est la direction dans laquelle s'orientent les événements,
qu'il s'agisse d'un progrès historique, voire moral, comme le pensent la plupart des philosophes des Lumières, ou au
contraire d'une régression, d'une décadence, comme celle qui caractérise le passage de l'état de nature à l'état civil
dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes de Rousseau (qui s'accorde sur ce
point avec certaines thèses stoïciennes), ou même d'un retour cyclique des événements, comme en témoigne la
théorie platonicienne des changements de constitution, au livre VIII de La République.
Le sens de l'histoire est ainsi
l'orientation générale qui émerge des événements qui se produisent dans le cours de l'histoire.
B.
Le sens comme signification
Il ne faut cependant pas limiter le sens de l'histoire à une simple orientation prise par le flux des événements
historiques.
Car on ne parle pas du sens de l'histoire de la même façon que du sens du courant d'un fleuve ou de
celui de la rotation des aiguilles d'une montre.
Le sens de l'histoire n'est pas une direction physique ou géométrique :
l'orientation que prennent des faits et des événements humains confère une raison, une valeur, une.
signification à
ces derniers.
Ainsi le sens de l'histoire doit-il pouvoir être compris par les hommes et non seulement décrit de
l'extérieur.
Ce sens apparaît dès lors lié à une finalité, même si la réalité et la nature de .celle-ci demeurent
problématiques, en suspens.
Cette finalité peut apparaître en tant que telle aux acteurs de l'histoire comme un motif
qui les guide, ou au contraire ne se manifester qu'après coup comme une leçon de l'histoire à laquelle les hommes
ont contribué malgré eux.
C.
Histoires particulières et histoire universelle
La tâche d'assigner une signification à un ensemble de faits historiques incombe avant tout à l'historien qui peut se
prévaloir du recul et de la vision globale que lui procure sa position.
Un spécialiste de l'histoire des techniques peut
ainsi saisir plus facilement le sens du développement des productions humaines, qui peut ainsi être celui d'une
appropriation croissante par l'homme des ressources que lui offre la nature, que cette maîtrise croissante soit le
simple produit du progrès du savoir scientifique, qu'elle résulte d'abord de la multiplication des besoins humains ou de
la nécessité pour les acteurs économiques de dépasser leurs concurrents.
Chaque histoire, celle des sciences, des
techniques, des arts ou des religions, présente ainsi un sens particulier, et plutôt que de parler en général du sens
de l'histoire, il conviendrait de préciser le sens de chacune des histoires particulières.
Au nombre de ces dernières
figurent aussi les histoires régionales ou locales, comme celle d'un peuple, d'un État, d'une cité, d'un empire.
Le sens
de ces histoires particulières, même s'il est plus facilement saisissable, ne doit pas pour autant être isolé du sens de
l'histoire universelle: le monde forme un tout fini dont l'histoire est, en dernière analyse, unique, ou tend à s'unifier.
Poser la question du sens de l'histoire, c'est poser par excellence celle de l'histoire universelle, de l'histoire de
l'humanité, dont les histoires particulières ne sont pas des parties indépendantes ou autonomes.
2.
L'indéterminabilité du sens de l'histoire
A.
Le travail de l'historien
Le sens de l'histoire n'est pas univoque, c'est à l'historien de le dégager après avoir fourni une explication des faits
historiques.
L'historien doit en effet, après avoir procédé à l'examen et au tri des sources et documents dont il
dispose, chercher autant que possible à expliquer les faits qui lui sont soumis, autrement dit procéder à une analyse
causale de ces faits.
La recherche des causes, ou des influences, des corrélations, des coïncidences, constitue en
ce sens le travail proprement scientifique de l'historien.
À cette tâche s'ajoute celle de l'interprétation de faits
préalablement expliqués.
L'interprétation devrait certes toujours suivre l'explication, mais souvent l'une et l'autre
sont inextricablement mêlées, au détriment de l'objectivité du travail historique.
Car l'interprétation de phénomènes
historiques, qui couronne d une certaine façon le travail de l'historien, laisse nécessairement une place à la
subjectivité.
On ne demande plus en effet seulement à l'historien d'expliquer, de rendre compte, mais de s'engager,.
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