Faut-il avoir peur de ses désirs?
Extrait du document
«
L'homme, tout au long de sa vie, est en proie à ses désirs, désirs que certaines philosophies, certaines religions,
certaines doctrines condamnent et s'efforcent de réprimer.
Les désirs caractérisés par un but et visant à leur
satisfaction sur un objet, sont-ils donc aussi nocifs à l'homme qu'elles le prétendent? C'est là un problème fort
important dans la mesure où il nous touche dans notre expérience quotidienne, dans notre vie de tous les jours.
Les désirs, pulsions (donc par là même, phénomène instinctif, incontrôlable) qui poussent un individu vers un objet,
ne sont en fait que la manifestation effective d'un besoin plus ou moins conscient et ne justifient pas la peur
panique qu'ils inspirent parfois.
L'être humain a tendance à se donner une image de la perfection et à vouloir toujours s'en rapprocher.
Il aspire à
cette perfection et s'en veut de découvrir parfois en lui-même des désirs qu'il juge selon les cas plus ou moins
coupables (pour certains d'ailleurs les désirs sont toujours coupables!) et qui l'en éloignent.
Mais l'homme n'est après
tout que ce qu'il est, et à quoi bon s'en défendre? Chacun sait que la faiblesse est l'un de ses attributs.
D'ailleurs le
désir n'est pas forcément une preuve de faiblesse.
Ce qui effraye les hommes dans les désirs, c'est leur côté
inattendu, incontrôlable qui leur donne toute leur force et leur soumet l'individu tout entier.
L'homme face à eux est
impuissant, mais s'il est ainsi, c'est qu'il doit s'accepter avec ses forces et ses faiblesses.
Il ne sert à rien d'avoir
peur de ses désirs et le simple bon sens nous inspire l'attitude la plus raisonnable, à savoir de rester serein face à
soi-même.
Pourtant, à la limite, si l'on considère tous les désirs qui caractérisent la nature humaine, on peut à juste titre être
effrayé par leurs buts ou leur intensité.
Une trop grande sérénité vis-à-vis de soi-même ne serait-elle pas dans ce
domaine lourde de conséquences? Un individu parfaitement serein devant ses désirs et fort satisfait de lui même
pourrait fort bien dans le souci de les assumer pleinement se livrer à leur satisfaction systématique et immédiate.
Et
c'est là la porte ouverte à tous les abus! Si chacun de nous se met à réaliser ses désirs à tout moment, en tous
endroits, que vont devenir sinon les principes, la moralité, du moins le simple respect d'autrui?
La vie en société implique un certain nombre de réserves et d'interdits qui sont les conditions mêmes de sa
possibilité.
Il semble donc que les désirs peuvent être nuisibles à l'homme dans la mesure où ils atteignent ce qui caractérise
l'homme en tant qu'homme, à savoir son humanité.
Les désirs semblent en effet réduire l'homme à l'animalité dans la
mesure où ils répondent davantage à un instinct qu'à une volonté réfléchie.
Un désir est soudain, irréfléchi, fort et
plus physique que moral.
Sa violence, son but méritent de susciter la peur.
Combien de jeunes filles (surtout dans
les siècles passés) élevées dans la pureté d'une éducation religieuse particulièrement rigide et dans l'ignorance
délibérée de toute question de sexualité n'ont-elles pas eu un jour un désir sexuel particulièrement fort qui a suscité
chez elles une véritable peur panique, elles qui, élevées dans la spiritualité la plus complète, ne
soupçonnaient pas de tels désirs de la part de leur corps (leur éducation leur ayant appris à mépriser leur corps au
profit de l'esprit)? Combien de jeunes gens dits de « bonne éducation » n'ont-ils pas eu un jour le désir de tuer?
Nous voyons donc que les désirs, à la faveur d'une situation donnée, peuvent s'avérer fort dangereux puisqu'ils
remettent en cause notre être même, nos certitudes les plus profondes et nous prouvent qu'ils nous tiennent à leur
merci sans que nous puissions réagir en quelque manière que ce soit.
Leur puissance réside dans le fait qu'ils nous
traitent en objets et non en sujets.
C'est en cela qu'ils méritent d'être craints.
Pourtant, à la limite, si nous avons une telle peur panique de nos désirs, notre vie va devenir un calvaire car le
désir, variant bien sûr dans sa fréquence et dans son intensité, est une expérience de chaque instant.
A chaque
moment nous sommes en proie plus ou moins consciemment au désir et le refus constant de ces désirs ne peut être
que néfaste dans la mesure où il entraîne chez l'homme des phénomènes de complexes, de refoulements.
Ces
phénomènes étudiés par les psychanalystes et en particulier par Freud peuvent s'accompagner de troubles
psychiques fort graves et entraîner un dérèglement total de la personnalité, voire la folie.
Mais surtout, si certains
désirs sont « coupables », il en est un certain nombre qu'il serait dommage de bannir.
Il y a des désirs légitimes, des
désirs nécessaires à l'individu.
La peur panique de tous les désirs peut mettre dans son côté systématique l'utilité
indéniable des désirs.
« Les » désirs ne sont en effet que la manifestation extérieure d'une valeur encore plus
fondamentale qui est « le » désir.
Dès lors que nous considérons nos désirs comme des valeurs essentielles, manifestations concrètes du désir
fondamental, absolu, le problème de la peur prend un tout autre aspect.
Le rôle de la philosophie est selon Hegel de
« reconnaître, dans l'apparence du temporel et du passager, la substance qui est immanente et l'Éternel qui est
présent ».
Or le désir en tant qu'absolu éternel, transcendant, se compromet dans le temps par l'intermédiaire des
désirs et c'est en eux et par eux que nous pouvons avoir un aperçu du désir lui-même.
Hegel a défini le désir comme
« effort pour persévérer dans l'Être » et le désir absolu et universel implique une dynamique dans le temps (on désire
toujours dans le futur), dynamique dont le but le plus fondamental est la liberté.
« Le » désir ne peut être que désir
de liberté, et si les désirs n'atteignent l'homme que dans le corporel, le désir, lui, agit sur le spirituel.
Mais, nous
l'avons vu, l'universel doit passer par l'intermédiaire du corps pour se manifester dans le temporel, le relatif.
De plus
l'homme a été défini comme l'être du désir et cette définition met en relief la caractéristique de l'homme qui est de
toujours désirer, de toujours aspirer à améliorer sa condition.
C'est à travers le désir que s'effectue sa marche vers
la liberté.
Que serait donc un homme qui ne désire rien ?
Il faut donc plutôt que d'en avoir peur considérer ses désirs avec la plus grande quiétude et la plus grande sérénité.
Loin de les rejeter, il faut les prendre en compte, voir en quoi leur satisfaction constitue pour moi un « progrès » ou
au contraire une « régression ».
Dans le désir sexuel, par exemple, je peux voir une manifestation de ma liberté ou au contraire un asservissement..
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