Faut-il avec Kant rejeter la liberté dans le monde nouménal, alors que le déterminisme régnerait dans le monde phénoménal ?
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«
Faut-il avec Kant rejeter la liberté dans le monde nouménal, alors que le déterminisme régnerait dans le monde
phénoménal ?
1.
D'après Kant, nous ne pouvons nous présenter les phénomènes que sous les formes de
l'espace et du temps; et les phénomènes ainsi représentés sont enchaînés les uns aux
autres par un déterminisme inflexible.
Comment alors admettre la liberté ? Le seul moyen,
c'est de mettre en question la valeur de la science, de montrer qu'elle n'est pas la
représentation exacte du réel, et que, par suite, la liberté est possible en réalité.
Or, telle est
précisément la conclusion de la Critique de la Maison pure.
Celle-ci établit que le monde tel
qu'il nous apparaît et qui est soumis au déterminisme, n'est qu'un monde apparent, tout
relatif à la constitution de notre esprit, et que, par conséquent, nous n'avons pas le droit de
conclure de ce qui apparaît à ce qui est.
Il peut donc y avoir, dans le noumène, une
causalité libre.
Or, la raison pratique transforme pour nous cette possibilité en nécessité.
Elle
ne nous prouve pas cette liberté fondamentale ; elle nous oblige à y croire.
2.
Ainsi donc, d'une part, la science implique le déterminisme universel ; d'autre part, le
devoir postule la liberté.
Comment lever cette antinomie? Kant distingue dans l'homme deux
espèces de causalités et de caractères : les caractère et causalité empiriques (hommephénomène) ; les caractère et causalité intelligibles (homme-noumène).
a) Le caractère empirique, c'est l'homme en tant qu'il se connaît, qu'il s'apparaît à lui-même
: c'est-à-dire une série de phénomènes (faits de conscience) reliés entre eux par une loi, loi
qui s'exprime par le mot : moi.
Cette expression ne signifie rien autre que l'unité de notre
perception.
En d'autres termes, nous ne pouvons apercevoir les faits de conscience, qui sont
plusieurs, successifs, qu'en les reliant les uns aux autres par la causalité.
Notre caractère empirique n'est donc qu'une série de
phénomènes unis par la causalité empirique, c'est-à-dire déterminés.
De ce point de vue phénoménal, la formule déterministe
(antithèse de l'antinomie), « il n'y a pas de causalité libre », est donc vraie.
b) Le caractère intelligible ou nouménal, c'est l'homme tel qu'il est réellement, comme être en soi, comme noumène.
Ce caractère
n'est pas dans le temps; il est supérieur au temps; il jouit de la propriété de la causalité absolue, non déterminée, libre, c'est lui
qui, par un acte hors du temps, détermine la série des effets phénoménaux, qui eux, se déroulent dans le temps, et forment notre
caractère empirique.
Cette solution semble avoir été admise par certains savants qui, comme le dit Poincaré, « sont déterministes, quand ils font de la
science, mais croient à la liberté, quand il s'agit de la conduite de leur vie ».
DISCUSSION.
— 1° Cette solution, qui soude en quelque manière l'un à l'autre deux mondes contradictoires, celui que nous
connaissons, inflexiblement déterminé, l'autre inconnaissable, absolument libre, et qui fait du premier l'apparence, et du second la
réalité véritable, est insoutenable.
2° Cette liberté nouménale reculée dans le mystère de l'inconnaissable, et dont nous n'avons aucune conscience, est une
invention gratuite, inintelligible, qui n'a d'ailleurs aucun intérêt pour nous.
La liberté que la conscience affirme, celle dont nous
avons besoin, c'est celle d'un être qui vit dans le temps et agit dans l'espace.
En somme Kant n'a pas réussi à concilier la liberté et le déterminisme, parce qu'il se fait une fausse conception de l'une et de
l'autre.
Phénomène et chose en soi chez KANT
Étymologiquement, un phénomène est ce qui apparaît.
Par dérivation, le terme a fini par désigner quelque chose d'exceptionnel
(comme dans les expressions de «phénomène de foire», de mémoire «phénoménale»), mais il signifie d'abord pratiquement l'inverse:
la chose telle qu'elle apparaît dans sa banalité.
Plus précisément, chez les philosophes, le phénomène est l'objet comme il est présent
dans l'acte de connaissance — par exemple le Soleil dans la lunette de l'astronome, le microbe sous l'oeil du microscope.
Il convient en
effet de distinguer le phénomène, qui sera l'objet même de la connaissance vraie, des apparences qui peuvent être trompeuses ou
illusoires.
Kant oppose le phénomène à la chose en soi.
La chose en soi est la chose telle qu'elle n'a avec notre pensée aucune relation.
Pour
Kant, seuls les phénomènes sont connaissables, les choses en soi ne peuvent être que pensées.
On remarquera à ce propos que ce
sont précisément les choses inconnaissables qui sont le plus souvent pensées (sans la mort, par exemple, très peu de livres eussent
été écrits).
On peut penser des choses sur Dieu, on ne peut en revanche pas le connaître.
La conception selon laquelle ce sont les phénomènes seuls et non les choses en elles-mêmes qui sont objets de science est appelée
phénoménisme.
Elle barre l'accès de l'esprit humain à ce qui serait l'absolu des choses.
Dans ses formes dérivées extrêmes, elle tend
à faire de la science une espèce de construction, comme un langage.
Ce point de vue a eu sur la moderne philosophie des sciences
une influence considérable..
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