Faut-il apprendre à être libre ?
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«
Pour Montesquieu, "la liberté est la possibilité de faire tout ce que les lois permettent" (De l'esprit des lois, tome I).
La liberté est le droit de
faire tout ce que les lois
permettent (De l'esprit
des lois)
Si chacun dans un État était autorisé à faire tout ce qui lui plaît, très rapidement
naîtraient des conflits.
Le plus fort l'emporterait et le plus faible serait esclave.
L'absence de contrainte ne conduit donc nullement à la liberté.
C elle-ci ne peut
exister que là où il y a des lois donnant à chacun des droits mais aussi des devoirs,
conditions du droit des autres.
Sans elles, tout le monde peut faire n'importe quoi, y compris limiter la liberté des autres.
Les lois rendent possible ma liberté en limitant celle des autres.
Elles rendent possible la liberté des autres en limitant la mienne.
En fait, tout dépend de la définition donnée à la liberté.
La liberté est-elle innée, ou est-elle
acquise (par un apprentissage) ? Ne doit-on pas apprendre à être libre, c'est-à-dire explorer notre liberté dans sa pleine et entière extension ? En quoi la
liberté nécessite-t-elle d'être éduquée ? Ou, au contraire, en quoi serait- il néfaste de limiter la liberté à un apprentissage ? En effet, ne doit-elle pas se
libérer d'un apprentissage qui serait trop abstrait ? Être libre, n'est-ce pas marquer son être individuel, se donner par soi-même tout entier, dans un choix
qui n'est pas la marque d'un apprentissage ?
La liberté, une donnée et un fait ou bien le fruit d'une lente acquisition, d'un apprentissage et d'un enseignement ? Est-il nécessaire de procéder à cet
apprentissage ?
1.
Non, il ne faut pas apprendre à être libre car la liberté est une donnée certaine qui s'atteste dans la conscience.
A.
La conscience du libre arbitre.
On peut poser la liberté comme une donnée qui s'atteste dans la conscience que nous en avons.
Nous avons en effet une
connaissance immédiate d'un pouvoir inné: celui du libre arbitre.
Le libre arbitre signifie la capacité de la volonté à se
résoudre, en toute conscience, à une action plutôt qu'une autre, une possibilité de choix.
La liberté apparaît ainsi comme
une donnée innée dont la connaissance est elle-même immédiatement donnée à travers le sentiment que l'on en a.
On
peut même avec Descartes, dans les Méditations métaphysiques, penser que:
«Il n'y a que la seule volonté, que j'expérimente en moi être si grande que je ne conçois pas l'idée d'aucune autre plus
ample et plus étendue : en sorte que c'est elle principalement qui me fait connaître que je porte l'image et la
ressemblance de Dieu.» Descartes, Méditations métaphysiques (1641).
• Pour Descartes, notre volonté est infinie: elle est ce qu'il y a de divin en l'homme.
C 'est ce que l'on appelle le librearbitre: la faculté de décider d'agir, que chacun peut ressentir en soi-même au moment où il décide de faire ou de ne pas
faire un geste par exemple.
• Cela ne signifie pas que l'homme soit toujours entièrement libre.
C ar la volonté est une faculté de l'âme, mais celle-ci,
pour Descartes, est située dans le corps, et peut être déterminée par lui: c'est ce que Descartes appelle les «passions»,
où l'âme subit les effets du corps.
Mon corps et ses moyens limités limitent donc ma volonté, de même que mon
entendement, lui aussi limité, peut m'amener à prendre de mauvaises décisions.
Même si ma volonté ne surmonte pas
toujours ces contraintes, elle peut, en principe, le faire.
B.
La liberté comme fait social et juridique.
C ette certitude psychologique de la liberté se vérifie, de fait, dans le fonctionnement des sociétés.
En effet, le fait que les
crimes et les délits soient jugés et éventuellement punis indique un jugement sur la responsabilité des accusés.
Or la responsabilité présuppose la liberté
d'agir.
On ne peut en effet déclarer un homme véritablement responsable d'une action que s'il était libre de commettre ou de ne pas commettre cette action.
A utrement dit, la prise en considération, de fait, de la responsabilité humaine est une donnée sociale immédiate qui implique la liberté comme une donnée
préalable.
Sartre montrera le lien indéfectible entre libre et responsabilité.
En effet, chez lui, la totale contingence de la liberté est immédiatement assortie
d'une totale responsabilité.
2.
L'illusion toujours possible de la liberté: seule la libération, comme apprentissage de la liberté, est envisageable.
A.
Déterminisme et illusion du libre arbitre.
Il s'agit ici de remettre en question la certitude psychologique de la liberté en mettant en évidence les déterminismes plus ou moins conscients qui agissent
sur la volonté.
Le rationalisme cartésien nous montre déjà qu'une volonté infiniment libre, mais privée de raison, est une volonté perdue.
Plus nous
connaissons, plus notre liberté est grandie et fortifiée.
Si nous développons notre connaissance au point de saisir dans toute sa clarté l'enchaînement
rationnel des causes et des effets, nous saisirons d'autant mieux la nécessité qui fait que telle chose arrive et telle autre n'arrive pas, que tel phénomène se
produit, alors que tel autre ne viendra jamais à l'existence.
Pour Spinoza, une chose est libre quand elle existe par la seule nécessité de sa propre nature, et
une chose est contrainte quand elle est déterminée par une autre à exister et à agir.
A u sens absolu, seul Dieu est infiniment libre, puisqu'il a une
connaissance absolue de la réalité, et qu'il la fait être et exister suivant sa propre nécessité.
Pour Spinoza et à la différence de Descartes, la liberté n'est
pas dans un libre décret, mais dans une libre nécessité, celle qui nous fait agir en fonction de notre propre nature.
L'homme n'est pas un empire de liberté
dans un empire de nécessité.
Il fait partie du monde, il dispose d'un corps, d'appétits et de passions par lesquelles la puissance de la Nature s'exerce et
s'exprime en nous, tant pour sa propre conservation que pour la nôtre.
Bien souvent nous croyons être libres, alors que nous ne faisons qu'être mus, par
l'existence de causes extérieures :
la faim, la pulsion sexuelle, des goûts ou des passions qui proviennent de notre éducation, de notre passé, de notre culture.
Nul homme n'étant coupé du
milieu dans lequel il vit et se trouve plongé, nous sommes nécessairement déterminés à agir en fonction de causes extérieures à notre propre nature.
"T elle
est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d'avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs, et ignorants
des causes qui les déterminent."
B.
La connaissance du déterminisme comme condition de possibilité de conquête de la liberté.
La remise en cause de cette certitude psychologique ne signifie par pour autant qu'il faille abandonner l'idée de liberté.
A u contraire, on peut comprendre la
mise en évidence du déterminisme subi par l'homme comme un travail préalable nécessaire à sa libération.
A utrement dit, on peut comprendre la sociologie
et les sciences humaines en général comme un effort critique afin d'assurer à l'homme une liberté qui soit autre chose qu'une illusion.
C'est dire que la
liberté apparaît ici comme la fin d'une conquête.
Cette conquête réside dans le processus de libération, et implique une lutte de la raison pour reprendre le
terrain conquis par les préjugés, l'ignorance et l'idéologie..
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