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Faire preuve de raison est-ce renoncer à ses désirs ?

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« Faire preuve de raison, c'est se montrer raisonnable, c'est-à-dire modéré, mais aussi rationnel.

Or, depuis l'antiquité grecque, nous avons l'habitude d'opposer, sur le plan moral, la tempérance, la modération de la raison à l'ubris, c'est-à-dire la dé-mesure des désirs.

Même sur le plan épistémologique, c'est-à-dire au niveau de la connaissance, la raison comme faculté de l'esprit s'oppose traditionnellement aux désirs, que l'on rattache au corps.

A insi, faire preuve de raison, au double sens d'être raisonnable et rationnel, reviendrait à faire taire en nous les désirs. Bien qu'il nous faille déterminer plus précisément de cette opposition, peut-on la tenir pour pertinente en sa radicalité ? En effet, si la raison nous peut montrer ce qu'il faut faire, il semble certain que c'est toujours le désir qui nous pousse à l'action.

On veut certes connaître correctement et agir avec modération, mais il faut bien d'abord désirer connaître et désirer agir.

Dès lors, s'il paraît sensé de soumettre les désirs à la raison, en les modérant, est-il nécessaire (voire même possible) de renoncer, c'est-à-dire de faire taire à jamais les désirs qui nous habitent ? I – Platon : la raison contre les désirs Chez Platon, la réflexion sur la raison et le désir s'articule sur une conception hiérarchique de l'âme, qui assigne à chaque instance sa place dans la vie de l'homme.

En effet, pour Platon, l'âme se divise en trois parties : la première correspond à la région du bas-ventre et relie l'ensemble de l'âme au corps ; il s'agit de l'epithumia, qui est la faculté des appétits, des instincts, des désirs.

La seconde coïncide avec le cœur et se nomme thymos ; elle est le symbole du courage.

Enfin, la troisième partie est dite intellective et elle correspond au calcul raisonné ; elle correspond au sommet de la hiérarchie et a pour fonction de diriger l'âme en son ensemble : on l'appelle le noùs. En effet, pour Platon, les désirs, parce qu'ils sont toujours liés au corps, aux circonstances et sensations de plaisir et de peine que nous éprouvons, restent éminemment variables et inconstants.

Ils correspondent à l'opinion, c'est-à-dire à un mode de connaissance hétéronome (c'est-à-dire qui ne dépend pas de lui-même) et peu fiable.

À l'inverse, le noùs donne lieu à ce que Platon appelle la science, c'est-à-dire à un savoir vrai concernant les choses, puisqu'il ne s'attache pas aux relations que nous entretenons avec elles (relations de plaisir, de peine, etc.), mais cherche à déterminer ce que sont en soi les choses ellesmêmes.

L'intellect permet, selon les termes de Platon, de contempler les Idées : il s'agit d'une faculté théorique, de theoria, contemplation. Or, on le voit, selon cette conception, le noùs, c'est-à-dire la raison, s'oppose aux désirs.

Mieux, un usage correct de la raison impose de renoncer aux désirs.

Être rationnel, cela revient à ne pas désirer.

Même sur le plan moral, le fait d'être raisonnable implique de se désengager des passions qui nous minent.

La raison ne peut atteindre la pleine maîtrise de son exercice que si elle de se laisser obscurcir par les désirs. II – Descartes : entendement et volonté Selon la conception de Platon, la raison s'oppose aux désirs à la manière dont l'âme s'oppose au corps : celui-ci est le tombeau de l'âme, dira-t-il.

C ette conception se retrouve dans l'éthique des Stoïciens, pour qui la raison nous renseigne sur la nature du monde et la place que nous devons y occuper, en sorte qu'ils diront que « mieux vaut changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde ».

Ainsi, les désirs, qui entendent plier le cours des choses à leur avantage et se condamnent par cette voie à l'insatisfaction, ont intérêt à se conformer à un principe raisonnable, qui permet d'éviter la démesure.

C ependant, si le désir représente en nous l'excès et la raison sa modération, celle-ci doit-elle se contenter d'y renoncer purement et simplement ? Pour Descartes, tel n'est pas le cas, puisque, selon la distinction établie dans les Méditations métaphysiques, si l'entendement permet de former des idées claires et distinctes des choses, seule la volonté nous permet véritablement de nous mettre en mouvement.

En effet, alors que l'entendement reste passif dans la formation des idées, la volonté représente un pouvoir actif au sein de l'âme humaine, en sorte que sans elle, aucun jugement ne serait jamais formulé. L'idée est donc bien de reconnaître à l'âme un pouvoir de se mouvoir, sous l'espèce de la volonté, en complément de la raison qui, seule, demeurerait impuissante. Dès lors, il s'agit, non pas de renoncer aux désirs, mais de reconnaître leur puissance positive d'affirmation ou de négation.

Il s'agit de leur faire une place au sein de l'âme humaine et non de les rejeter purement et simplement. Descartes remarque d'ailleurs que l'erreur surgit lorsque la volonté, dont le pouvoir consiste à juger par affirmation ou négation, juge de manière prématurée les idées que lui soumet l'entendement.

Ainsi, la genèse de l'erreur prend appui sur une démesure, sur le fait que la volonté outrepasse à un moment sa place.

Désormais, s'il y a toujours contrôle par la raison de ce qui en nous se montre actif en nous, cette part de nous-même demeure assumée. III – Conscience de soi et désir On s'en rend compte, à parler de volonté avec Descartes, il semble que l'on manque ce qui fait l'essence même des désirs.

De fait, si chez Descartes la volonté est la partie active de l'âme, elle participe effectivement au processus de connaissance en jugeant du vrai.

Le désir, quant à lui, est renvoyé au corps, c'est-à-dire à ce qui provoque les « passions de l'âme ».

Le terme « passion » vient du grec pathos, qui évoque ce que l'on subit.

Afin de donner plus de poids aux désirs, ne peut-on pas distinguer besoin et désir ? En effet, le besoin nous renvoie au corps dans sa pesanteur, c'est-à-dire dans la manière qu'il a de nous rattacher aux exigences vitales.

Si l'on n'assouvit pas un besoin (boire, manger, etc.), c'est le corps et notre vie que nous mettons en danger.

Qui plus est, le besoin se satisfait de son objet : après un bon repas, nous n'avons plus faim.

À l'inverse, le désir peut se penser de manière positive.

En effet, il est le signe d'un manque, mais pas au sens du besoin, car le désir ne se satisfait jamais de son objet, mais il se creuse au contact de la satisfaction, en sorte que le désir serait ce qui nous porte toujours en avant. Cette idée se retrouve chez Hegel, qui montre comment le désir nous permet de nous rapporter à nous-mêmes sous l'espèce de la Conscience de Soi.

Alors que l'animal consomme les objets naturels et ne désire qu'eux, l'homme peut désirer le désir d'autrui, c'est-à-dire un vide irréel.

C ela signifie précisément que l'homme cherche à devenir l'objet du désir d'autrui, autrement dit qu'il cherche la reconnaissance de l'autre.

Or, ce faisant, il se définit intégralement comme désir : son but n'est pas de désirer ceci ou cela, mais de désirer pour désirer.

Dès lors, l'homme s'inscrit dans la temporalité, avec le pouvoir de nier ce qu'il est pour devenir autre.

Alors que l'animal, soumis au besoin, ne change pas, l'homme désire et évolue. Si la C onscience de Soi est l'expression de la raison chez Hegel, son moteur est donc bien le désir, c'est-à-dire ce qui lui permet de se développer et ce sans quoi elle stagnerait irrémédiablement. Conclusion : Ainsi, la raison apparaît avec Platon comme une modératrice des désirs ; c'est-à-dire qu'en matière de morale et de connaissance, elle impose à l'ubris, à la démesure, un silence qui lui garantit un exercice plein et entier de son pouvoir.

C ependant, ce renoncement aux désirs trouve ses limites dans la considération, avec Descartes, du désir comme puissance positive de mouvement au sein de l'âme, sous l'espèce de la volonté.

Dès lors, avec la distinction besoin/désir, nous avons vu comment celui-ci assurait la genèse de la Conscience de soi, c'est-à-dire d'un rapport à nous-mêmes compris sous l'espèce du devenir.

En ce sens, le désir permet proprement à la raison d'évoluer et ne se dresse pas purement et simplement contre elle ; Hegel ne disait-il pas d'ailleurs que rien de grand ne se fait sans passion.. »

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